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Revue de presse


Plan de développement des soins palliatifs 2015 - 2018 : Inégalités territoriales et manque de médecins

Article publié dans La Croix, le 8 janvier 2019

 

Le plan de développement des soins palliatifs (2015-2018) s’achève et le bilan est très mitigé : de fortes disparités régionales demeurent aussi bien en termes d’accès que de budget.

 

Le budget national alloué par la sécurité sociale, qui avait atteint 1,6 milliards d’euros en 2013, sert à financer les unités hospitalières de soins palliatifs. Il est versé directement aux hôpitaux, selon une tarification à l’activité, indexée sur la durée de séjour des patients. Mais ces unités sont très inégalement réparties, « par exemple, aucune unité ouverte en Guyane contre plus de 5 lits pour 100 000 habitants dans le Nord-Pas-de-Calais ». Selon l’Atlas publié en 2018 par le Conservatoire National sur la fin de vie, seuls 44 % des patients qui en font la demande ont accès aux soins palliatifs.

 

Ces inégalités sont censées être gommées par le travail des équipes mobiles de soins palliatifs, qui opèrent à domicile et dans les autres unités des hôpitaux. Elles sont financées par les Agences Régionales de Santé (ARS), dont les politiques sont propres à chaque région. Partout les budgets sont revus à la baisse. Claire Fourcade, qui est à la tête de l’unité de soins palliatifs de la Polyclinique du Languedoc de Narbonne, a dû encaisser en 2018 une réduction de 10 % du budget pour son équipe mobile, qui effectue pourtant 8000 consultations par an. « On nous a assuré que la diminution pour cette année n’excéderait pas 30 %, mais on n’en sait pas plus. On nous a aussi promis que notre activité, en hausse de 17 %, serait prise en compte dans pour le versement d’un complément, mais sans autres précisions. C’est flou. En attendant, nous ne pouvons bâtir aucun projet », déplore-t-elle, parlant d’une « injonction paradoxale » entre la loi, « qui prévoit le droit pour chacun d’accéder aux soins palliatifs », et les moyens  donnés. « On nous demande de faire plus pour que plus de patients aient accès à des soins de qualité, sans aucun moyen supplémentaire ».

 

Gérard Vincent, ancien délégué général de la Fédération hospitalière française, estime pour sa part qu’il s’agit seulement d’un contexte général tendu, sans « focalisation particulière sur les soins palliatifs », et qui implique surtout « des réorganisations et des rationalisations ». Anne de La Tour, présidente de la SFAP, partage cet avis, ajoutant le problème crucial du manque de formation des médecins. « Il faut former des médecins en soins palliatifs, à la fois en réformant la formation médicale de base et en organisant des modules de formation continue », précise quant à lui le Professeur Régis Aubry, qui dirige le service des soins palliatifs du CHU de Besançon, espérant que le prochain plan soins palliatifs 2019-2022 tiendra compte de ce besoin.

 

Sources: 

La Croix, Loup Besmont de Senneville (08/01/2018)

 


Une anesthésiste de Lavaur est mise en examen

25 déc. 2018

 

La Dépêche 

 

Une anesthésiste de Lavaur est mise en examen pour avoir injecté une substance létale à une patiente de 80 ans.     Lire la suite...


Le journal Libre Pensée annonce la création de l'antenne du Choix en Isère

LIBRE PENSÉE ISÈRE – DÉCEMBRE 2018

   

Nathalie Gueirard Debernardi, après le décès de son mari dans des conditions très pénibles, a lancé sur «change.org» une pétition pour réclamer une nouvelle loi en France sur la fin vie, qui permettra le suicide médicalement assisté et l'euthanasie pour les personnes malades qui en feront clairement la demande.

 

Marie Godard a, de son côté, souhaité exprimer toute son amitié et son soutien à son amie Anne Bert, obligée de s’exiler en Belgique pour pouvoir y être euthanasiée, en lançant, elle aussi, une pétition sur la même plateforme. Change.org leur a rapidement proposé de regrouper leurs deux pétitions, ce qu’elles ont accepté. Celles-ci comptent à ce jour plus de 375 000 signatures.

 

 

Le Conseil Économique Social et Environnemental (CESE), dont le rôle est d’étudier les sujets qui mobilisent les Français et notamment par le biais des pétitions, décide de se saisir du dossier de la fin de vie et invite Marie et Nathalie à être auditionnées en novembre 2017. À l’issue des auditions, les personnes faisant partie du comité temporaire sur la fin de vie au CESE votent très majoritairement en faveur d’une loi sur l’aide active à mourir. 

 

Peu de temps après, la révision des lois de bioéthique commence et en raison de l’importance qu’accordent les Français à ce sujet, les responsables décident d’inclure les soins palliatifs et la fin de vie  dans leur champ de réflexion. Le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE), responsable de la révision des lois de bioéthique, décide d’inviter Nathalie Gueirard Debernardi et Marie Godard à être auditionnées et les informe qu’il n’a cependant vocation à auditionner que les personnes qui représentent des associations ou des sociétés savantes, ce qui n’est pas leur cas. Que faire?

 

Créer une association pour avoir une existence légale. 

 

C'est ce qui est fait. Les statuts sont déposés en préfecture à Paris le 27 février 2018. Mesdames Godard et Debernardi pourront donc être auditionnées par le CCNE en avril 2018 et porter la voix des 375 000 signataires qui réclament en France une loi  qui autorisera le suicide assisté et l'euthanasie pour les personnes atteintes de maladies graves et incurables et qui en font la demande. Cette association est appelée 

 

«LE CHOIX - Citoyens pour une mort choisie»

 

Le CHOIX n’a que sept mois d’existence et compte déjà près de 10 000 adhérents. Nous mettons en place des structures et des moyens pour porter la voix des 375 000 signataires de nos pétitions qui demandent une nouvelle loi sur la fin de vie en France.

 

La stratégie du CHOIX est la suivante: 

 

• Informer ses membres sur ce que permet la loi actuelle, la loi Claeys - Leonetti, et sur ce que nous souhaitons obtenir des législateurs, à savoir une loi qui autorisera le suicide médicalement assisté et l’euthanasie, dans un cadre juridique très précis; 

 

• faire connaître les lois qui existent ailleurs et notamment en Belgique depuis 2002; 

 

• nous rapprocher des parlementaires qui sont favorables à nos demandes et tenter de convaincre ceux qui ne le sont pas encore; 

 

• identifier les médecins qui sont favorables à une loi sur l’aide active à mourir et solliciter leur aide pour faire bouger les idées préconçues dans le milieu médical. À ce sujet, un récent sondage indique que 40% des soignants sont favorables à nos idées et que 67% des médecins généralistes nous approuvent. La bataille de l'opinion est déjà gagnée puisque régulièrement les sondages indiquent que 90% des Français interrogés se déclarent favorables à cette évolution.

 

Beaucoup de nos membres sont aussi adhérents de l'ADMD et/ou d'Ultime Liberté, dont les objectifs sont similaires même si les stratégies peuvent être différentes. L'important est que nous allions tous dans le même sens pour obtenir cette loi qui nous évitera de devoir dire que l'on meurt mal en France comme nous devons tous le reconnaître aujourd'hui.

 

Depuis le début de l'année trois propositions de loi ont été rédigées par Olivier Falorni, député du groupe parlementaire Libertés et Territoires créé en octobre 2018, par Caroline Fiat, députée la France Insoumise et par Jean Louis Touraine député la République En Marche. Pour des raisons évidentes, la proposition de loi de ce dernier est celle qui a le plus de chance d'aboutir (il compte aujourd'hui plus de 300 député(e)s qui ont signé sa proposition), même si le projet de la France Insoumise correspond mieux à la loi que nous souhaitons, inspirée de la loi belge. Monsieur Touraine s’est cependant engagé à travailler avec les deux autres députés pour proposer au législateur une proposition de loi qui reprendra les meilleurs éléments de chacune.

 


Les professionnels de la santé freinent-ils l'application de la loi sur la sédation profonde ?

Article publié avec la permission du Journal International de Médecine

 

Paris, le vendredi 30 novembre 2018 – Un droit, sous certaines conditions, à la sédation profonde et continue jusqu'au décès (SPCJD) a été instauré par la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.

 

Malgré le consensus parlementaire, l’entrée en vigueur de ce droit inédit et spécifique a rapidement fait l’objet de polémiques, entre ceux qui auraient souhaité que la loi aille plus loin et ouvre franchement la possibilité d’une aide médicalisée à mourir, et ceux qui à l’inverse craignaient une avancée trop claire dans cette direction.

 

Rappelons que la loi stipule que « les patients atteints d’une maladie grave et incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme et présentant des douleurs réfractaires aux traitements, ainsi que ceux qui demandent que soit interrompu un traitement vital et craignent l’apparition de douleurs réfractaires, ont le droit de recevoir, à leur demande, une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Chez un patient qui ne peut pas exprimer sa volonté, le médecin se doit de mettre en œuvre une sédation profonde et continue jusqu’au décès en accompagnement de la procédure d’arrêt thérapeutique au titre du refus de l’obstination déraisonnable, sauf si le patient s’y est opposé dans ses directives anticipées. Cette disposition ne s’applique pas en situation d’urgence et un médecin trouvant la demande du patient disproportionnée par rapport à son état peut refuser de l’honorer, à condition que ce refus soit collégial et consigné de façon argumentée dans le dossier du patient. »

Selon le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) qui consacre un rapport à l’application du texte, le dispositif « peine à se mettre en place sur le terrain »… une difficulté qui n’est cependant pas traduite par des statistiques précises ! 

 

Le CNSPFV fait notamment état d’une « certaine frilosité » des équipes soignantes à mettre en œuvre cette procédure, même pour « l’accès à des pratiques sédatives banales qui ne posaient aucune question éthique jusque-là » !

Les professionnels de santé : principaux freins ?

Ainsi, pour le CNSPFV les freins à l’application de la loi tiennent principalement aux professionnels « et si certains relèvent de questions de formation-information, ou sont d’ordre logistique et organisationnel et peuvent probablement être assez facilement surmontés, d’autres sont plus fondamentaux et conceptuels et donc plus difficiles à dépasser ».

 

La mise en œuvre de la sédation profonde et continue jusqu’au décès étant souvent confiée aux experts en soins palliatifs, le CNSPFV met en lumière qu’un « certain nombre d’entre eux sont réservés vis-à-vis de cette pratique, estimant qu’elle n’est pas la plus conforme à l’accompagnement qu’ils souhaitent apporter aux patients en fin de vie »…Cette analyse est cependant réfutée par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, qui fait valoir que les équipes de soins palliatifs « n’ont aucune réticence à utiliser avec discernement et chaque fois que cela est nécessaire l’ensemble des techniques de sédation disponibles (…) pour y parvenir ».

 

Fort de ces constants, le groupe de travail propose quelques pistes, en particulier : « ne pas méconnaître les ambiguïtés éthiques inhérentes à la SPCJD ; débattre à leur sujet et accepter que certains professionnels soient résistants à la pratiquer, estimant que ce n’est pas ainsi qu’ils souhaitent accompagner leurs patients à mourir. Organiser l’accès à la SPCJD sur le terrain de façon à ce que les patients ne soient pas les otages de la position des professionnels sur le sujet et qu’ils puissent y avoir accès partout sur le territoire et de manière égalitaire (…). Poursuivre et intensifier les actions de formation/information à destination des professionnels pour rendre la pratique moins anxiogène (…) Discuter de la pertinence d’un système d’astreinte téléphonique pour offrir collégialité et coaching technique à ceux qui le souhaiteraient sur l’ensemble du territoire ».

 

Xavier Bataille

 


Sédation profonde et continue : un rapport du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV)

Le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) a constitué un groupe de travail pour évaluer la façon dont s’est implantée en pratique la sédation profonde et continue jusqu’au décès (SPCJD) deux ans après son introduction dans le corpus juridique par la loi Clayes-Leonetti de février 2016. Dans l’éditorial du rapport qui en est issu, son président, le Professeur René Robert rappelle que cette sédation peut être demandée par les patients « atteints d’une maladie grave et incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme » et qui  présentent « des douleurs réfractaires aux traitements », ainsi que par les patients souhaitant l’interruption d’un traitement vital et craignant l’apparition de douleurs réfractaires suite à cette décision. Il souligne d’emblée que cette disposition légale, souvent méconnue, a suscité l’opposition de ceux qui la trouvent insuffisante comme de ceux qui la jugent excessive. Enfin, il souligne l’ambiguïté de deux termes fréquemment avancés dans les débats : euthanasie et palliatif. Les points d’accord sont la transparence et la collégialité de la décision. 

 

Après avoir donné les compte-rendus des séances de travail, le rapport restitue les sept paradoxes qui selon ses auteurs expliquent les difficultés rencontrées sur le terrain pour mettre en œuvre cette SPCJD. 

 

1.   Le terme lui-même de “sédation profonde et continue jusqu’au décès” est source de confusion, ce qui peut compliquer une démarche que la loi voulait simplifier. Les patients l’emploient rarement, disant plutôt qu’ils veulent « être endormis », « ne plus souffrir », « ne pas vouloir mourir étouffé », ... Les soignants peuvent avoir du mal à la distinguer de la sédation profonde et continue, prescrite pour un temps déterminé, pouvant être source de difficultés dans sa mise en œuvre et éventuellement reconduite jusqu’au décès. Dans ce dernier cas, faut-il alors engager toutes les précautions prévues par la loi (discussion, décision collégiale, traçabilité) ? 

 

2.   Sur le terrain, la distinction d’avec l’euthanasie n’est pas toujours évidente, ce qui pose des difficultés éthiques à de nombreux soignants. Qui doit juger que les symptômes sont « réfractaires » ? Quel est le délai pour parler de pronostic à court terme ? 

 

3.   Un certain nombre d’experts en soins palliatifs sont réticents à mettre en œuvre la SPCJD. Or c’est à eux que la loi l’a confiée. 

 

4.   Certains médecins vivent mal le fait que la décision ne revient plus à eux, mais au patient, pouvant mettre les équipes médicales « dans une position de prestataires de service . » 

 

5.   La décision collégiale peut avoir du mal à aboutir, d’autant qu’elle implique des équipes différemment concernées, que le diagnostic de mort prochaine n’est pas facile et que bien des patients sont réticents à toute anticipation dans le domaine de la fin de vie. 

 

6.   Si la loi affirme que la SPCJD doit être accessible à tous, y compris aux patients qui souhaitent mourir chez eux, « rien n’a été fait pour donner aux médecins généralistes les moyens pour que ce droit devienne effectif en ville : médicaments non disponibles, insuffisance de moyens logistiques, organisationnels et humains, manque d’information et de formation. » 

 

7.   Du fait des raisons énoncées précédemment, il persiste des inégalités d’accès à la SPCJD, alors que l’ambition de la loi était au contraire de les réduire. 

 

En conclusion, le rapport déplore « une certaine frilosité à mettre en œuvre la SPCJD sur le terrain (...) qui semble même toucher l’accès à des pratiques sédatives banales qui ne posaient aucune question éthique jusque-là. » Il propose diverses mesures générales pour réduire les difficultés identifiées. À noter que quelques jours après la publication de ce rapport, mais sans le nommer, la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs a publié un communiqué de presse dans lequel elle affirme que les équipes de soins palliatifs « n’ont aucune réticence à utiliser avec discernement et chaque fois que cela est nécessaire l’ensemble des techniques de sédation disponibles pour y parvenir. » 

 

 

 

Références

Disclaimer

Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie. La sédation profonde et continue jusqu’au décès en France, deux ans après l’adoption de la loi Clayes-Leonetti. Rapport, novembre 2018

 

Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. Sédations en fin de vie : l’engagement de la SFAP. Communiqué de presse, 28 novembre 2018

 


Les ambiguïtés de la loi Claeys-Leonetti

Instaurée en février 2016 par la loi Claeys-Leonetti (1), la sédation profonde et continue jusqu’au décès « peine à se mettre en place », conclut un rapport du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie. Le groupe de travail pluridisciplinaire mandaté par le Centre pour ce rapport a planché pendant 18 mois sous la direction du Pr René Robert, réanimateur et vice-président du Centre. « On sent une certaine frilosité des équipes soignantes à la mettre en œuvre, engendrant de l’incompréhension, voire parfois de la colère chez les familles qui ont essayé de l’obtenir pour leur proche en fin de vie », souligne le rapport.

 

Les ambiguïtés de la loi

 

Une partie des réticences des médecins viendrait de l’ambiguïté des termes de la loi. Cette dernière « amène de nombreuses précisions techniques qui exposent à la dispute », souligne Claire Nihoul-Fekete, chirurgien pédiatre, professeur émérite et chef de service honoraire de l’hôpital Necker-Enfants malades. « La loi donne par exemple aux médecins le pouvoir de définir les symptômes réfractaires. C’est une erreur », juge-t-elle. Par ailleurs, « si la mort survient trop vite, on accuse les médecins d’euthanasie. La confusion entre les deux pratiques est inévitable. C’est une grande hypocrisie de cette loi », poursuit la chirurgienne qui a participé au groupe de travail.

 

Autre paradoxe soulevé par les auteurs du rapport, la mise en œuvre de la sédation profonde et continue jusqu’au décès est confiée aux experts en soins palliatifs, dont un certain nombre « sont réservés vis-à-vis de cette pratique, estimant qu’elle n’est pas la plus conforme à l’accompagnement qu’ils souhaitent apporter aux patients en fin de vie », souligne le rapport. « Il y a un défaut de reconnaissance des convictions des praticiens », estime Michèle Levy-Soussan, médecin de soins palliatifs, responsable de l’équipe mobile de soins palliatifs de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Dans ce contexte, « la demande du patient, qui peut se manifester sous différentes formes, doit être centrale. Il ne faut pas attendre, comme certains, une demande "dans les clous" », poursuit-elle.

 

Débattre et former

 

La parole des patients peut également être perçue comme une violence par les médecins. « C’est compliqué pour un soignant d’entendre que le patient veut rompre le lien. Cette responsabilité peut se révéler insupportable », commente Valérie Mesnage, neurologue à l’hôpital Saint-Antoine. En conséquence de ces difficultés de mise en œuvre, des patients, de plus en plus nombreux, font le voyage en Belgique ou en Suisse. « On constate un afflux de patients français à qui la sédation profonde et continue a été refusée. Ces patients arrivent avec un courrier de leur médecin », observe François Damas, réanimateur, chef de service adjoint des soins intensifs au Centre hospitalier régional de la Citadelle, à Liège, en Belgique.

 

Parmi les pistes avancées pour améliorer la mise en œuvre des dispositions de la loi Clayes-Leonetti, le groupe de travail suggère de débattre des ambiguïtés de la loi, mais aussi d’intensifier les actions de formation ou encore de mettre en place un système d’astreinte téléphonique pour offrir collégialité et coaching technique sur l’ensemble du territoire.

 

(1) Ce que dit la loi : « Les patients atteints d’une maladie grave et incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme et présentant des douleurs réfractaires aux traitements, ainsi que ceux qui demandent que soit interrompu un traitement vital et craignent l’apparition de douleurs réfractaires, ont le droit de recevoir, à leur demande, une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Chez un patient qui ne peut pas exprimer sa volonté, le médecin se doit de mettre en œuvre une sédation profonde et continue jusqu’au décès en accompagnement de la procédure d’arrêt thérapeutique au titre du refus de l’obstination déraisonnable, sauf si le patient s’y est opposé dans ses directives anticipées. Cette disposition ne s’applique pas en situation d’urgence et un médecin trouvant la demande du patient disproportionnée par rapport à son état peut refuser de l’honorer, à condition que ce refus soit collégial et consigné de façon argumentée dans le dossier du patient. »

 

Source : Lequotidiendumedecin.fr

 


Le sort de Vincent Lambert de nouveau soumis à la justice

ARTICLE DU JOURNAL LA CROIX DU 22 NOVEMBRE 2018

 

Des experts mandatés par la justice confirment que Vincent Lambert se trouve dans un « état végétatif chronique irréversible ».

Ils concluent qu’il n’est pas victime d’acharnement thérapeutique.

 

Depuis 2013, la famille de Vincent Lambert se déchire sur le sort de l’ancien infirmier, victime d’un accident de la route en 2008.

 

C’est un nouvel épisode dans la bataille judiciaire autour de Vincent Lambert. Trois experts mandatés par la justice ont confirmé que ce dernier se trouve « dans un état d’incapacité fonctionnelle psychomotrice totale en 2018 » comparable à celui de 2014, qui ne lui laisse plus « d’accès possible à la conscience ». « Des éléments minimes d’aggravation ont été enregistrés », ajoutent les spécialistes, qui ont rendu leur rapport lundi 19 novembre.

 

« Nous sommes en désaccord avec l’évaluation de l’état de conscience de Vincent », réagit Me Jean Paillot, l’un des avocats des parents de Vincent. « Nous allons demander un complément d’expertise avec de nouvelles évaluations comportementales. »

 

Quatrième procédure d’arrêt des soins

Missionnés par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, les experts devaient se prononcer sur l’état et l’évolution du patient. Un préalable requis avant l’éventuel déclenchement de la quatrième procédure d’arrêt des soins, demandée par le CHU de Reims depuis le 9 avril 2018. Pour s’opposer à ce processus, les parents de Vincent Lambert avaient saisi la justice pour demander une nouvelle expertise, la dernière datant de 2014.

 

 

Depuis 2013, la famille de Vincent Lambert se déchire sur le sort de l’ancien infirmier, victime d’un accident de la route en 2008. Ses parents et une partie de la fratrie exigent le maintien des soins, considérant que Vincent Lambert est un « grand handicapé ». Sa femme demande, elle, leur arrêt, en vertu de la loi Leonetti qui proscrit l’obstination déraisonnable. « Je ne vois pas bien comment le tribunal pourrait dire que l’état de Vincent ne rentre pas dans le cadre de la loi », observe François Lambert, son neveu, favorable à l’arrêt des soins.

 

Pas d’acharnement thérapeutique

De fait, si les experts affirment que l’état médical de Vincent Lambert lui porte « atteinte à un point qui n’est pas acceptable par lui-même », ils estiment que « la réponse aux besoins fondamentaux primaires (alimentation, hydratation, hygiène de base, etc.) ne relève pas de l’acharnement thérapeutique ou d’une obstination déraisonnable », critère crucial de la loi Leonetti sur la fin de vie. Ils ajoutent que l’état de santé de Vincent Lambert ne requiert « aucune mesure d’urgence » et que de nombreuses structures françaises seraient à même de le recevoir si besoin.

 

Ces deux aspects du rapport sonnent comme une victoire pour les parents de Vincent Lambert, qui réclament le transfert de leur fils. « Ce point est sans conséquence car la justice a déjà tranché la question », remarque François Lambert, qui rappelle que la Cour de cassation avait rejeté la demande de transfert en 2017.

 

 

La prochaine audience est fixée au 19 décembre. Le tribunal administratif devra alors à nouveau trancher sur l’éventuel arrêt des soins.

 

Anaïs Brosseau

Un médecin français peut-il aider ses malades à mourir en Belgique?

Article paru dans le journal La Croix, le 11 novembre 2018 

 

L’Ordre des médecins devrait se prononcer dans les prochaines semaines sur la possibilité pour un médecin français d’emmener un patient en Belgique afin de l’euthanasier.

 

Un médecin français peut-il envoyer l’un de ses patients dans une maison de repos belge, avant de venir lui-même l’y euthanasier ? C’est la question très délicate dont vient de se saisir, jeudi 8 novembre, le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom). « C’est une question qui est à l’ordre du jour de notre réflexion », annonce à La Croix le docteur Jean-Marie Faroudja, président de la section éthique et déontologie du Cnom.

 

« Il y a plusieurs aspects : le médecin exerce-t-il habituellement en Belgique ? Quels patients cela concerne-t-il ? On va en discuter avant de soutenir une opinion déontologique. Nous nous positionnerons d’ici quelques semaines », promet le docteur Faroudja.

 

Une question théorique venue de Belgique

 

Disons-le d’emblée : la question est pour l’instant purement théorique, et l’Ordre ne recense aucun médecin français exerçant de telles pratiques. Mais c’est un texte publié fin octobre en Belgique qui a poussé l’instance médicale française à engager la réflexion. Le Comité consultatif de bioéthique de Belgique a en effet publié le 22 octobre un avis sur cette épineuse question.

 

Dix-huit mois auparavant, ils avaient en effet été saisis par le ministre wallon de la santé, à la suite d’« un cas concret, qui lui a été signalé par ses services » : « un médecin établi en France peut-il venir en Belgique avec son patient et le faire admettre dans un centre de court séjour belge ou dans une maison de repos et de soins belge afin de l’y euthanasier, à sa demande ? »

 

Dans un texte de trois pages, les experts du comité d’éthique belge font état de leur division. Les uns affichent leurs réticences, affirmant qu’un tel cas poserait « de sérieuses questions » : « Le fait d’envoyer (dans un centre de repos belge, NDLR) un patient dans le seul but d’y pratiquer une euthanasie ne correspond pas aux objectifs poursuivis par ces centres. »

 

De même, craignent-ils encore, « l’acceptation occasionnellement donnée dans ces centres ouvre la porte à une pratique qui pourrait rapidement devenir une habitude ». Les autres estiment au contraire « qu’il n’y a aucun inconvénient éthique à ce qu’un médecin, de nationalité belge ou non, autorisé à exercer en Belgique, pratique en Belgique une euthanasie dans les conditions prévues par la loi ».

 

« Une forme de tourisme d’euthanasie »

 

Car si les questions se posent bel et bien sur le plan éthique, plusieurs experts soulignent que de tels actes ne seraient pas contraires à la loi belge, qui a en effet légalisé il y a quinze ans l’euthanasie. Depuis 2005, une directive européenne permet en effet aux médecins de l’Union européenne d’exercer dans un autre pays de l’UE. En Belgique, cette autorisation est délivrée par le service public fédéral en charge de la santé publique.

 

Sur un plan strictement juridique, rien n’empêcherait donc aujourd’hui un médecin français de traverser la frontière avec un patient pour l’y euthanasier. « À ma connaissance, aucun médecin français ne pratique des euthanasies sur des patients qu’il emmènerait de France dans des maisons de santé belges », assure toutefois Jacqueline Herremans, la présidente de l’ADMD Belgique. Selon le dernier rapport de la commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, 23 patients sont venus de l’étranger pour se faire euthanasier en Belgique en 2016 et 2017.

 

De son côté, le professeur Paul Cosyns, coprésident du comité d’éthique, professeur émérite de psychiatrie de l’université d’Anvers, s’inquiète : « Ce n’est pas du tout dans l’esprit de la loi de permettre ce genre de pratique. Cela s’assimilerait à une forme de tourisme d’euthanasie. »

 

Loup Besmond de Senneville


Olivier Falorni demande un référendum

Olivier Falorni en appelle au chef de l'Etat.

 

Le député de Charente-Maritime demande à Emmanuel Macron d'organiser un référendum sur la fin de vie.

 

Aujourd'hui, nous sommes dans une situation de blocage qui frise le scandale démocratique parce que nous avons un débat qui concerne tous les français où chaque sondage montre qu'il y a une immense majorité de nos concitoyens pour avancer sur cette nouvelle liberté et malgré cela rien n'avance.

 

Jacqueline Herremans répond à Agnès Buzyn dans le HUFFPOST du 5 octobre 2018


LES BLOGS

 
Non Madame Buzyn, il ne suffit pas de vouloir mourir pour pouvoir le faire en Belgique

 

Posez-vous la question: pour quelles raisons des patients français décident de s'exiler en Belgique pour accéder à l'euthanasie?

 

Jacqueline Herremans

Avocate au barreau de Bruxelles, membre du Comité consultatif de bioéthique en Belgique

 

Non Madame Buzyn, il ne suffit pas de vouloir mourir pour pouvoir le faire en Belgique.

 

"Après la loi belge, qu'on comprenne bien, avec la loi belge aujourd'hui n'importe qui en Belgique qui demande à mourir, qui le demande trois fois, peut accéder à l'euthanasie même s'il n'est pas malade, s'il n'a pas une pathologie incurable, s'il est simplement âgé, il décide de mourir à l'âge de 77 ans, il a le droit de mourir."

 

Ce sont les paroles de la ministre de la Santé de la République française, Agnès Buzyn, hématologue de formation ("Questions politiques", France Inter) .

 

Ignorance? Peut-être. En ce cas, je vous [suggère], Madame la Ministre, l'inscription gratuite au cycle de formation EOL 2018-2019.

 

Ainsi, il vous sera permis de connaître non seulement la loi belge du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie mais aussi celles concernant les soins palliatifs et les droits du patient. Elle apprendra donc que les conditions fondamentales pour que le médecin puisse poser cet acte d'humanité sont la demande volontaire, répétée, bien réfléchie, sans pression extérieure d'un patient faisant état de souffrances physiques ou psychiques inapaisables résultant d'une affection (médicale) grave et incurable.

 

Par conséquent, il n'est guère possible d'envisager l'euthanasie en dehors d'une cause médicale. Si la présence d'une affection médicale est la condition sine qua non, il ne s'agit pas – loin s'en faut - du seul critère à prendre en considération. Les souffrances – certes causées par une affection médicale - représentent en effet le facteur décisif par rapport à une demande d'euthanasie. C'est bien parce que le patient souffre qu'il en vient à demander à mettre fin à sa vie. Combien de fois ai-je entendu des amis qui étaient en demande d'euthanasie me dire qu'ils n'avaient pas envie de mourir mais qu'ils ne voulaient plus de cette vie qui, du fait de leurs souffrances, avait perdu tout sens. Pertes de dignité, d'autonomie, d'espoir sont souvent les mots qui reviennent pour qualifier leurs souffrances psychiques. Quant aux douleurs physiques, si la médecine a accompli des progrès incontestables en matière de traitement de la douleur, je reste frappée par les descriptions de celles-ci à l'occasion de l'examen des déclarations d'euthanasie adressées par les médecins à la Commission d'évaluation et de contrôle de la loi relative à l'euthanasie. Liste non exhaustive: cachexie, dyspnée, dysphagie, épuisement, hémorragies, obstruction digestive, paralysies, plaies, transfusions répétées.

 

Chère Madame Buzyn, ce n'est pas en caricaturant vos voisins belges que vous parviendrez à museler le débat. On meurt mal en France, le CCNE et bien d'autres le reconnaissent. Vous ne proposez que deux solutions: les soins palliatifs ou les différentes variations des lois Leonetti avec comme point d'orgue ce qui est présenté comme un nouveau droit, la sédation terminale.

 

Comment expliquez-vous qu'en Belgique, pays non évolué, selon M. Leonetti, le réseau des soins palliatifs jouit d'une bonne réputation?

 

EAPC

 

Certes, il est toujours possible de faire mieux et je reconnais que nous devrions améliorer l'offre de soins palliatifs à domicile pour des enfants atteints de maladies incurables. Mais je doute que vous soyez à ce stade de réflexion en France. Déjà difficile d'obtenir des soins palliatifs pour des patients adultes en institutions hospitalières.

 

Et posez-vous la question: pour quelles raisons des patients français décident de s'exiler en Belgique pour accéder à l'euthanasie? Pour ce faire, ils devront affronter des voyages pénibles en raison de leur situation médicale, leurs proches ne pourront pas toujours les accompagner pour leur dernier voyage.

 

Amis Français, il fait bon vivre en Belgique. On y mange bien. Les amateurs de bière se trouvent devant des choix multiples, des bien connues trappistes aux bières locales savoureuses. Notre vie culturelle est riche, au nord comme au sud. Je vous souhaite donc de pouvoir profiter des beautés de mon pays, sans oublier notre sens de l'humour, de la Zwanze bruxelloise. Et non pas de devoir y venir soit pour la PMA (les bébés Thalys), soit encore pour votre dernier voyage pour obtenir que soit respecté votre désir de mettre fin d'une manière digne à votre vie vidée de son sens par les souffrances engendrées par une maladie grave et incurable.

 

Une centenaire évincée d'un service hospitalier car elle ne voulait plus vivre

Éric Favereau - Libération, le 22 octobre 2018

AUX PETITS SOINS

 

Une femme de 102 ans souhaitant qu'on l'aide à mettre fin à ses jours en Belgique, a été priée de quitter le service de long séjour dans lequel elle était jusque là hospitalisée à Paris. Car la structure ne souhaitait pas être associée à sa démarche.

 

Depuis quelques mois, Fernande B. ne voulait plus vivre. On pouvait la comprendre : à 102 ans, elle ne voyait plus rien, entendait si mal et, depuis quelques semaines, était hospitalisée dans un service de long séjour à Paris. «Elle exprimait ce souhait clairement», raconte son fils, médecin généraliste. Bref, une demande bien normale.

 

Les difficultés qui s’en sont suivies autour de sa fin de vie ne constituent pas un scandale d’Etat mais, l’air de rien, montrent combien une telle situation reste difficile et bloquée en France. «C’était pourtant tout simple, répète son fils. Ma mère n’était pas seule, nous étions là, avec mes frères et sœurs. Elle avait toute sa tête. Avec mon père, elle avait travaillé dans l’usine familiale de poupées. Elle nous avait dit qu’elle ne voulait pas une fin de vie dégradante et indigne. Et comme j’étais le fils médecin, elle me l’avait fait promettre.»

 

«Il fallait que cela se termine»

 

Jusqu’à récemment, cela restait des mots lointains. Fernande allait bien. Ses dernières années, elle vivait dans une résidence de personnes âgées, gardant ses facultés intellectuelles. Mais depuis l’été, de nouveaux problèmes de santé lui ont valu d’être hospitalisée à Paris dans un service de long séjour. «Et là, elle nous l’a redit, qu’elle ne voulait plus de cette vie-là, il fallait que cela se termine.» Une demande claire, aux dires de tous les proches. Que faire ? «On savait bien que c’était interdit en France. Une de mes filles qui vit en Belgique s’est renseignée, a pris contact avec un médecin à Namur. C’était le 31 août. On a pris contact avec son équipe, puis la demande de ma mère a été validée par un collège de trois médecins. Ensuite, il y a un mois de délai.»

 

 

Voilà. Et très naturellement, comme un adieu qui se prépare, Fernande et ses enfants en ont parlé. Entre eux et dans le service où elle était hospitalisée. «Le chef de service n’a pas paru choqué, a même tout à fait compris», se souvient le fils de Fernande. Mais voilà, d’un coup tout s’est corsé. Le chef de service a adressé le SMS suivant à la famille : «Bonsoir, j’ai bien vu votre mère… Cet après-midi, nous avons eu la réunion avec le comité d’éthique, l’équipe est en difficulté par rapport au sens à donner à la prise en soins jusqu’à mi-octobre [date de l’euthanasie, ndlr]. Impossible de faire comme si de rien n’était. Il apparaît nécessaire de vous rencontrer, vous les enfants.»

 

Ne pas se sentir responsable

 

La rencontre a eu lieu. Et à la fin, le chef de service leur a expliqué qu’avant de partir en Belgique, il n’était pas possible que leur mère reste dans le service. L’argument : l’équipe ne voulait pas se sentir engagée dans une démarche d’euthanasie. «Nous étions sidérés, ahuris, explique le fils. Ce n’est pas eux qui allaient participer à l’euthanasie de notre mère, mais d’avance, comme une punition, ils la mettaient à la porte. Dehors, une vieille femme de 102 ans… Alors que leur travail est simplement de l’accompagner quelques jours avant.»

 

 

Se sentant peut-être mal, le chef de service se démène dès le lendemain pour trouver une place dans le service de soins palliatifs de l’hôpital, ledit service se montrant prêt à accueillir Fernande jusqu’à son départ à Namur. «Ma mère a bien sûr mal pris ce changement. Elle a dû y aller, et dans ce service, ils ont été très gentils.» Puis, le mercredi 10 octobre, c’est le départ. «En famille nous sommes allés à Namur. On a conduit notre mère à l’hôpital. Elle a confirmé son souhait, elle voulait que cela se passe le jour même, mais ce n’était pas la règle. Le lendemain, dans la matinée, entourée de nous tous, c’était un joli geste, elle s’est endormie d’abord, c’était ce qu’elle voulait.» Et il ajoute : «Je ne suis pas en colère, mais qu’y avait-il de choquant, au point de mettre ma mère hors du service ?»

 

Eric Favereau


Pour Olivier Falorni « Il y a entre 3 000 et 4 000 euthanasies clandestines par an »

Extrait d'une interview sur Public Sénat le 15 octobre à 16h22

On pratiquerait plus de 3 000 euthanasies chaque année en France… et pourtant la législation semble figée. Un an après la disparition d'Anne Bert, qui avait choisi de mettre fin à ses jours, le gouvernement n'a pas souhaité rouvrir le dossier. Pour les partisans de la légalisation il est urgent de mettre fin à la clandestinité de l'euthanasie.

 

Par Marie Oestreich

 

Jusqu’à 4 000 euthanasies clandestines par an : Le verrou français est-il en cause ?

 

Le chiffre frappe les esprits, pour Olivier Falorni, député de Charente-Maritime, on pratiquerait en France « entre 3 000 et 4 000 euthanasies clandestines par an. » Pour lui, l’impossibilité de pouvoir avoir recours légalement à l’euthanasie pousse médecins et patients à la clandestinité, des dérives qui sont, à son sens, un véritable danger. « Le problème est qu’on ne sait pas en l’occurrence et par définition si cela relève de la volonté ou non du malade. »

 

Pour l’ancien député socialiste et auteur d’une proposition de loi « donnant le droit à une fin de vie libre et choisie » en 2017, l’actuelle loi Claeys-Leonetti, n’est pas satisfaisante. Entré en application en 2016, le texte stipule qu’en cas « d’infection grave et contraignante », le patient peut légalement réclamer une sédation profonde jusqu’à la mort, une possibilité d'abréger les souffrances d'un patient incurable.

 

Pour Loup Besmond de Senneville, journaliste au journal La Croix, si la question de la souffrance et des moyens de la limiter reste essentielle, la légalisation du recours à l’euthanasie risquerait d’envoyer un message culpabilisant aux personnes incurables qui ont fait le choix de vivre jusqu’au bout.

 

Pour Olivier Falorni, « Nous sommes face à un débat légitime mais qui reste franco-français, et devrait regarder ce qui se passe à l’extérieur. En Belgique, où la loi est appliquée depuis 16 ans, on voit bien que les dérives, les craintes, que je peux comprendre, n’existent pas. » En effet, le recours à l’aide médicalisée au décès n’a pas fait augmenter de manière significative le nombre d’euthanasies, et cela reste une possibilité, un droit, dont les individus sont libres de disposer ou non.

 

Cet argument ne semble pas recevable pour le journaliste de la Croix, tant pour lui les risques de dérives existent : « Contrairement à ce que prévoyait la loi belge il y a 15 ans, il est possible d’euthanasier des mineurs, donc, qu’est-ce que cela veut dire ? C’est une dérive ou pas ? Moi je pose que la question se pose sérieusement, premier point. Deuxième point : il est possible d’euthanasier des personnes qui sont en dépression ». Ici se pose donc indéniablement la question de la limite de ce que la législation sur l’euthanasie prévoit ou pourrait prévoir et de la réelle portée des organismes qui contrôlent et encadrent la pratique, en Belgique, de cette législation.

 

Humaniser le débat et « aider la société à réfléchir »

 

Médecin et ancien président du comité consultatif national d’éthique, pour Jean-Claude Ameisen, il existe un « déficit scandaleux et tragique en termes d’accompagnement en soin palliatif, mais aussi une indifférence en ce qui concerne la façon dont les personnes veulent vivre leur fin de vie », alors que la loi Claeys-Léonetti est censée favoriser ce processus.

 

Pour ce médecin, il est important par ailleurs d’observer la situation non seulement en Belgique, mais aussi dans les pays où l’assistance au suicide est autorisée comme les États-Unis et le Canada, qui donne l’autonomie, si on le souhaite, d’interrompre sa vie, alors que l’euthanasie va plus loin : elle donne le droit à un médecin, parce qu’on lui demande, d’interrompre la vie d’un malade. Sur la question de l’assistance au suicide, il relève qu’aux États-Unis, « un tiers des personnes qui reçoivent l’autorisation ne le demandent pas, un tiers des personnes qui reçoivent le produit parce qu’elles l’ont demandé ne le prennent pas jusqu’au bout, et seul un tiers le prend. » Pour Jean-Claude Ameisen, le problème en France réside surtout dans le fait que les personnes en fin de vie ne sont pas suffisamment accompagnées, même s’il en reste que le suicide assisté resterait la solution qui respecterait au mieux l’autonomie des individus.

 

Une incohérence entre opinion publique et législation ?

 

D’après un sondage réalisé par le journal La Croix en janvier 2018, 89 % des personnes interrogées seraient favorables à la légalisation du suicide assisté et/ou à l’euthanasie, et, un chiffre d’autant plus parlant, 72 % des catholiques pratiquants sondés répondent y être également favorables. Ces chiffres, qui s’appuient sur un échantillon de 1 010 personnes, semblent montrer que l’opinion publique semble être prête à une évolution de la loi. On pourrait alors se demander si l’évolution de la loi française ne serait pas plus envisageable que ce qu’on pourrait le penser. Pourtant, d’après la ministre de la santé Agnès Buzyn, la loi actuelle de 2016 « répond aux besoins » des malades en fin de vie, et semble considérer la nécessité d’améliorer l’accompagnement en soins palliatifs des patients avant tout.


Article paru le 25 juin dans le Journal international de médecine (JIM)

Article paru avec l'autorisation du JIM

Exclusif : les professionnels de santé encore très partagés sur la légalisation de l’euthanasie

 

 

Paris, le lundi 25 juin 2018 – Les professionnels de santé et plus encore les médecins sont considérés comme toujours majoritairement hostiles à l’idée d’autoriser et d’encadrer légalement la pratique de l’euthanasie. Le député et professeur de médecine Jean-Louis Touraine, très favorable à une évolution de la société française sur ce sujet, affirmait ainsi récemment à l’occasion d’une réunion publique à Lyon sur ce thème : « Sur le cancer, une grande majorité de patients reçoivent des chimios dans les quinze derniers jours de leur vie. Les médecins veulent repousser éternellement la fin de vie, mais il faut savoir se résigner lorsqu’il y a une impasse thérapeutique qui signifie qu’il n’y a plus d’espoir. La médecine ne doit pas prétendre atteindre à l’immortalité et la médicalisation de la mort a des inconvénients qu’il nous faut dénoncer » martelait-il. 

 

Une évolution certaine

 

Cette appréhension de la position de ses confrères est sans doute liée à une longue série d’enquêtes d’opinion ayant confirmé le rejet par les médecins français d’une loi permettant l’euthanasie. Ainsi, quand il y a dix-huit ans les Pays Bas étaient le premier état au monde à adopter une loi autorisant cette pratique, les professionnels de santé français avaient été sur le JIM 74 % à se déclarer hostiles à l’entrée en vigueur de dispositions similaires en France. Cependant, l’appréhension des professionnels de santé a connu des évolutions importantes. Sans rejoindre la quasi-unanimité qui paraît exister dans la société française si l’on en croit la plupart des enquêtes d’opinion menées sur le sujet, on a pu constater un renversement de majorité en 2012. Un nouveau sondage réalisé sur notre site révélait ainsi que 53 % des professionnels de santé se disaient favorables à une loi encadrant la pratique de l’euthanasie. 

 

Un écart majeur entre médecins et infirmières

 

Alors qu’à la faveur de la révision des lois de bioéthique, beaucoup souhaitent que le sujet soit de nouveau abordé par l’Assemblée nationale (ce qui ne semble pas être le projet du gouvernement), le JIM a une nouvelle fois interrogé ses lecteurs.

 

 

Sondage réalisé sur JIM du 24 avril au 13 mai 2018

 

Les résultats révèlent que les professionnels de santé demeurent très partagés : ils sont autant (49 %) à s’être déclarés favorables et défavorables à une légalisation de l’euthanasie, telle qu’elle existe en Belgique et aux Pays-Bas, tandis que 2 %, peut-être déconcertés par la référence à des pays où la possibilité de dérives n’est pas exclue, ont préféré ne pas se prononcer. Ces chiffres ne permettent pas de mesurer les fortes différences existant en fonction des professions : ainsi si 84 % des infirmières qui ont participé à notre sondage se disent favorables aux législations européennes pro euthanasie, de même que 56 % des pharmaciens, seuls 37 % des médecins répondeurs partagent cette position.

 

Cette divergence n’est sans doute pas étrangère au fait qu’une légalisation de l’euthanasie déléguerait aux médecins les plus importantes responsabilités, qu’il s’agisse du recueil du souhait du patient, de l’analyse de sa demande et surtout de la réalisation du geste létal. Cette dimension explique très certainement, pour partie, l’écart marqué que l’on retrouve en fonction des professions. De même que les infirmières sont peut-être plus souvent aujourd’hui les premiers destinataires des demandes d’aide à mourir.

 

Sédation profonde : une avancée suffisante

 

Notre sondage met également en évidence un recul de la part de professionnels de santé favorable à l’euthanasie, par rapport à notre enquête réalisée en 2012. Peut-être faut-il y voir ici l’effet de la loi des députés Claeys et Leonetti, qui pour beaucoup de soignants pourrait répondre à un grand nombre des situations qui demeuraient impossibles à résoudre sous l’ère de la première loi Leonetti. Un sondage réalisé sur notre site avait ainsi révélé une large adhésion (62 %) des professionnels de santé à l’instauration d’un droit à la sédation profonde et continue, que seuls 18 % considéraient comme une « euthanasie déguisée ».

 

Le fait que cette nouvelle possibilité ne paraisse qu’insuffisamment mise en œuvre, comme le signalait un récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), pourrait cependant ne pas remettre en cause le sentiment pour un grand nombre de professionnels de santé qu’il s’agit d’une loi adaptée. Enfin, outre le refus de participer à la mort des patients qui entre en contradiction pour beaucoup de praticiens avec le sens premier de leur mission, l’existence de dérives dans l’application des lois belges et néerlandaises, dérives régulièrement signalées par la presse, peut également contribuer à la position des professionnels de santé sur le sujet.

 

Des sociétés savantes toujours hostiles

 

Néanmoins, ce sondage met également en évidence la fin de l’opposition majoritaire et franche des soignants, ce qui témoigne combien l’évolution de la société sur ce sujet concerne également les professionnels de santé ; même si ces derniers pourraient être plus conscients que d’autres du fait que le caractère plébiscitaire des sondages sur le sujet a des limites que l’on retrouve quand les personnes sont interrogées sur leur propre cas et sur les risques de dérives. Enfin, les limites des soins palliatifs, plus encore dans les conditions actuelles de contraintes budgétaires, ont pu souffler à certains professionnels de santé une inflexion sur ce débat très complexe. Pour autant, aujourd’hui, les représentants des professionnels de santé n’ont pas nuancé leur position. Le récent avis de synthèse sur les états généraux de bioéthique constatait ainsi : « L’ensemble des sociétés savantes (représentant les soignants) auditionnées s’oppose à l’ouverture d’un droit au suicide assisté ou à l'euthanasie, et juge la législation actuelle à la fois suffisante et humanisante mais insuffisamment mise en œuvre. Le corps médical insiste, en effet, sur l’efficacité de la sédation comme démarche soignante tout à fait à même d’apaiser les souffrances du patient en fin de vie, y compris les plus lourdes ».

 

Aurélie Haroche

Commentaires: 1
  • #1

    Gauthier Pierre Henry (lundi, 02 juillet 2018 22:30)

    Bonjour,
    Vous que j'ose aimer pour ce que vous êtes et faites vous-mêmes avec tellement d'amour pour tant de personnes humaines en souffrance et en fin de vie.
    Continuons avec vous votre fort et incomparable parcours, il est nécessaire et décisif.
    Nous aboutirons / vous aboutirez - avec tous ceux et celles qui se rallieront pas après pas à cet objectif qui s'imposera à une société citoyenne - jeune mais non sans être exposée, et vieillissante - à moyen ou plus long terme - s'il vous plaît et si vous le voulez bien - parce que vous avez les connaissances notamment des enjeux vitaux et de la souffrance de toutes sortes, les expériences, les languages et engagements très clairs, une humanité éminemment profonde, et une myriađe de personnes en contact avec vous (dont tout plein d'élus nationaux).
    Poursuivez, poursuivons ce mouvement humain libérateur et enthousiasmant (oui, c'est ainsi pour moi-même) - je pourrais dire " heureux " , grâce à l'élan puissant et indispensable que avez semé sur le chemin, étape après étape, que vous avez ouvert avec courage et détermination.
    De plus en plus de gens - grâce en particulier à votre entier engagement et à vos actions menées sans peur des jugements sociaux et/ou réacs d'un temps révolu sado-masochiste - prendront progressivement conscience des vraies proximités intimes entre la vie, la souffrance insoutenable et la mort délivrance choisie au plus profond de soi en pleine liberté.
    Cela vient et viendra...! Enfin...

    Pierre Henry Gauthier


Le Monde, 23 juin 2018 : Patrick Bernasconi déclare  « Le CESE est à l’aube d’un énorme changement »

 

Le président du Conseil économique, social et environnemental explique dans un entretien au « Monde » la réforme portée par Emmanuel Macron. 

 

À cette question que lui pose le journaliste : Comment allez-vous répondre à votre autre mission, celle d’organiser le débat public, notamment à travers des pétitions citoyennes?

 

Il répond en prenant pour exemple les pétitions de Nathalie Gueirard Debernardi et Marie Godard sur la fin de vie :

 

" Clarifions le débat. Il est proposé que la chambre ait trois responsabilités. La première, il l’a déjà, c’est d’être saisie par 500 000 signataires d’une pétition. Nous demandons à ce que cette possibilité soit désormais numérique et que les conclusions apportées aient une ouverture institutionnelle auprès de l’Assemblée ou du Sénat.

 

La seconde, c’est que la chambre aura la responsabilité, sur saisine gouvernementale, d’organiser des débats publics sur de grands projets de réforme, en amont de celles-ci.

 

La troisième, mais d’une façon non exclusive, c’est la possibilité qu’elle aura de recevoir sur une plate-forme des pétitions numériques qui n’atteignent pas ce chiffre constitutionnel de 500 000 signataires mais qui n’en méritent pas moins d’être écoutées. Nous avons sur ce sujet un véritable savoir-faire.

 

Nous venons ainsi, à la suite d’une auto-saisine sur la fin de vie qui faisait l’objet de plusieurs pétitions citoyennes, d’adopter un avis sur un sujet aussi difficile, tout en faisant apparaître des dissensus, des différences, dans nos préconisations. "

 

 

Voici le lien vers l'article : Entretien avec Patrick Bernasconi.


 Plaidoyer pour la liberté de choisir sa fin de vie

Nous publions ici, avec la permission de Francis Carrier, Président de  GreyPRIDEsa tribune parue le 3 mai dernier dans Libération, qui reprend son audition à la commission consultative des États Généraux de bioéthique.

 

Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie tout d’abord de me permettre de témoigner devant vous de mes expériences concernant la fin de vie.

Je souhaite tout d’abord vous faire part de la fin de vie d’une amie très proche, militante comme moi de la lutte contre le SIDA.

Combattre est sans doute le verbe qui définit le mieux sa vie.

Déportée avec ses parents et son frère, alors qu’elle était jeune fille, Hanna connut la souffrance et l’humiliation : humiliation du corps et de l’esprit. Mais sa volonté, son énergie, sa rage de survivre lui permirent de ressortir de ces camps de la mort. Fait encore plus rarissime, c’est toute sa famille, bien que malade et affaiblie, qui rentra sur Paris. 

Toute sa vie de femme fut marquée par ces moments tragiques de sa déportation. Libre et engagée, aussi bien dans ses amours que dans les causes qu’elle défendait, elle avait l’énergie de ceux et celles qui ne se laissent pas dévier de leurs objectifs.

Dans les années 80, la mort de son fils de cœur la plongea dans la lutte contre le SIDA. Ainsi année après année, son engagement fût total. Vers ses 70 ans, un premier cancer du sein, et une rechute quelques années plus tard, l’amenèrent à organiser sa fin de vie. Plus d’espoir de traitement, il fallait donc avoir une sortie digne, loin de tout ce qui pouvait rappeler les humiliations qu’elle avait subies dans sa jeunesse. Pour cela elle chercha comment pouvoir mettre fin à sa vie, sans attendre de subir les stigmates d’une fin qui n’en finit pas.

Elle se rapprocha de l’association pour le droit à mourir dans la dignité, rencontra son médecin à qui elle confia ses volontés, elle fit les démarches auprès d’une association suisse qui permettait aux personnes qui le souhaitaient de bénéficier d’un suicide assisté, et écrivit même ses dernières volontés ; ainsi elle se sentait rassurée. Se sentant affaiblie, elle organisa les repas d’adieux avec ses amis proches, sans évoquer le fait que ce serait sans doute la dernière occasion de se voir.

Le voyage en Suisse était prévu ; mais quel jour décider de partir ? Plus on tarde, plus le voyage semble difficile à faire... Elle reporta sa décision, jusqu’au jour où elle se dit que ce serait sans doute plus facile d’en finir ici, chez elle, près de son chat, entourée des photos, des souvenirs de toute sa vie. C’est ce qu’elle fit. Un soir, avant d’aller se coucher, elle prit 3 boîtes de cachets, donna une dernière caresse au chat et s’endormit pour ne plus se réveiller. Tout aurait pu finir ainsi, dans le respect et la dignité de la mort qu’elle avait choisie.

Hélas, le sort en décida autrement.

Le lendemain matin, l’amie, la confidente décida de passer la voir pour s’assurer qu’elle n’avait besoin de rien. Malgré son insistance, personne ne vint ouvrir la porte, elle se décida donc à utiliser la clé que lui avait confiée son amie. Elle trouva Hanna inconsciente dans son lit. Encore en vie, sa faible respiration en témoignait. Lorsqu’on aime quelqu’un, si on le sent en danger, la première réaction est de vouloir le sauver ! C’est ce qu’elle fit en appelant le 17.

Réanimée, hospitalisée, son corps et son esprit meurtris, elle fut ramenée malgré elle à la vie. Dès cet instant, affaiblie dans son corps par sa maladie et par sa tentative de suicide, elle ne pouvait utiliser que sa parole pour exprimer ses souhaits et demander à d’autres de l’aider à mourir. C’est ce qu’elle fit, à l’hôpital, auprès du cancérologue qui lui assura que le moment venu on l’enverrait dans un service de soins palliatifs.

Quelques jours plus tard, ce fut le cas.

Jour après jour elle fit part de sa demande de mourir. Lorsqu’elle fut trop faible pour parler, elle demanda un stylo pour écrire, et redire sans fléchir qu’elle voulait en finir dignement sans que la mort l’humilie, la souille comme les camps l’avaient fait dans sa jeunesse. Rien n’y fit. Elle dut attendre que son corps se rende, que le dernier fluide de vie s’évapore. Cela dura des semaines...

Cela se passait il y a 6 ans, mais je ne pense pas que la loi Leonetti dans sa version actuelle aurait mieux respecté la volonté d’Hanna de mourir sans subir cette agonie qui lui a enlevé la dignité qu’elle souhaitait conserver à tout prix.

Mais revenons à la population des seniors LGBT.

La fin de vie, j’y ai été confronté tout d’abord entre 1985 et 1995, à une époque où beaucoup de personnes touchées par le VIH décédaient dans des conditions très difficiles. A cette époque, l’incapacité des médecins à apporter des soins curatifs a provoqué un choc devant l’ampleur du nombre de personnes jeunes, soudainement confrontées à leur fin de vie. Ce choc a sans doute contribué à donner une plus grande place à l’écoute des patients et a cassé la toute-puissance du milieu médical face à cette nouvelle pathologie.

Ainsi, comme en témoigne le film «120 battements par minute» des solutions ont dû être trouvées pour aider à mourir des hommes, des femmes pour lesquels il n’y avait plus d’espoir.

Les soins palliatifs n’étaient pas très répandus, et les multi-pathologies qui touchaient des malades en grande souffrance nous ont obligés à trouver des solutions pour aider activement les personnes à mourir. Soit avec l’aide du corps médical, soit avec l’aide de proches qui trouvaient des moyens pour arrêter une agonie sans fin (cécité, troubles mentaux, dérèglements généralisés de tous les organes...).

A cette époque, l’euthanasie active était pratiquée, par humanité.

Mais heureusement, il y eut des survivants.

Mon ami, touché par le SIDA, a été hospitalisé en 95 pour une pneumocystose. Une très forte allergie au Bactrim (antibiotique) a été à l’origine d’une dégradation rapide de son état général. Des hospitalisations successives, un affaiblissement continu, une perte de poids vertigineuse l’on conduit à penser à sa fin de vie. Il a demandé à un ami proche de l’aider activement à mourir. Le deal était simple : «Un jour quand je t’appellerai, est-ce que tu pourras venir à l’hôpital me faire une piqûre pour m’aider à mourir».

Quelques semaines plus tard, un soir, ne pouvant plus marcher, il appelle cet ami pour lui dire : «c’est pour demain matin». Cette nuit fut calme, apaisée, car il n’avait plus l’angoisse de savoir comment éviter cette souffrance physique et morale.

Le lendemain matin, il se sentit mieux. Est-ce cette nuit de calme ? Est-ce ce rayon de soleil qui rentrait dans la chambre ? Son envie de vivre reprit soudainement le dessus. Il appela son ami et lui dit simplement : «ne viens pas... »

Peu de temps après, nous eûmes l’écho d’un traitement miraculeux aux États-Unis où les anti-protéases étaient prescrites. Je pris contact avec une pharmacie locale, et en accord avec son médecin traitant, j’importai ce médicament qui n’avait pas encore reçu l’autorisation de mise sur le marché en France.

Ces 3 mois, pendant lesquels j’importai ce médicament des USA, furent décisifs. Peu à peu, cachet après cachet, son état général se rétablit et ainsi après une longue convalescence il revint à la vie.

Aujourd’hui, il vit toujours. Avec une certitude cependant, de revendiquer son choix à pouvoir mourir quand lui le décidera. Ce choix, de vivre ou mourir, cette liberté, lui a permis, aux moments les plus difficiles, de retrouver un apaisement et ainsi sans doute d’avoir l’énergie de dire : «je vais me battre et je ne suis pas prêt à mourir».

De nos jours, quelle est la situation des seniors LGBT ?

Un grand nombre d’entre eux choisissent l’invisibilité comme stratégie de défense par rapport à la crainte d’être stigmatisés ou discriminés. Cette invisibilité conduit inexorablement à un isolement plus marqué, à l’absence de toute expression des problèmes qui leur sont propres et à la perte d’une grande part de leur identité (impossibilité d’exprimer leur désir, impossibilité de raconter l’histoire de leur vie...).

Nous savons que le taux de suicide chez les personnes âgées est important et bien qu’aucune statistique ne puisse le confirmer, je pense que les seniors LGBT doivent être dans la catégorie la plus touchée par le suicide. Au Canada, une étude récente montre que les gays âgés mouraient plus par suicide que par le sida.

Une autre étude américaine sur la vision de leur vieillesse, réalisée auprès des personnes LGBT de plus de 55 ans, fait apparaître les points suivants :

67% craignent d’être négligés

62% craignent d’être maltraités

60% craignent de subir des violences physique ou verbales

50% pensent qu’ils cacheront leur orientation sexuelle

Au-delà des craintes exprimées, nous avons quelques données objectives :

- les seniors LGBT ont pour la plupart d’entre eux vécu dans leur passé une stigmatisation de leur identité sexuelle, qui les conduit à anticiper le rejet et à s’en protéger

- 60 à 70% vivent seuls et n’ont pas de liens familiaux

- un grand nombre a vécu des périodes de dépression profonde

- les problèmes d’addiction sont beaucoup plus importants que dans la population générale

Ainsi, en vieillissant, la population LGBT est encore plus isolée que le reste de la population. Une récente étude réalisée pour les Petits Frères des pauvres faisait le constat de «la mort sociale» d’un grand nombre de personnes âgées. Alors que penser de la situation des centaines de milliers de vieux et vieilles LGBT, sans conjoint, sans famille et se tenant à distance des activités de convivialité proposées aux seniors. Lorsqu’on sait que l’isolement est le principal facteur de risque pour les personnes âgées, on comprend que leur qualité de vie ne peut être que dégradée et leur désir d’en finir ne peut être qu’accentué.

C’est pour cela que dans notre réflexion sur la fin de vie, nous portons une double parole :

- améliorer les conditions de vie et préserver l’identité des personnes âgées, condition nécessaire à leur qualité de fin de vie

- mais aussi laisser le choix à chacun chacune de disposer de sa vie et de mourir comme il ou elle le souhaite.

Ainsi nous préconisons :

- Un plan de formation des acteurs médico/sociaux pour permettre aux seniors LGBT de vivre dignement leur fin de vie dans des lieux bienveillants,

- Une formation des tuteurs et curateurs pour une plus grande proximité avec les personnes sous leur protection,

- Un engagement des pouvoirs publics pour sensibiliser tous les acteurs de la filière vieillesse au respect de l’identité de chacun et chacune, et donner le droit de pouvoir choisir avec qui l’on souhaite vieillir,

- La création de lieux affinitaires pour permettre, aux personnes les plus discriminées d’avoir une fin de vie digne (maisons de retraite des diversités, comme ce qui existe déjà pour les lieux confessionnels ou professionnels),

- Le développement de petites structures de vie en centre-ville sur le modèle des MARPA afin de maintenir les seniors dans leurs lieux de vie habituels et dans des structures à taille humaine,

- Une campagne sur le droit à la sexualité des personnes âgées quelle que soit leur orientation sexuelle ou leur identité de genre,

- La légalisation des accompagnants sexuels/sensuels pour toute personne handicapée,

- Le droit à vivre et à mourir dans la dignité sa fin de vie, dans le respect de l’identité et du choix de chacun et de chacune.

Merci,

Francis Carrier

Président de GreyPRIDE

Commentaires: 2
  • #2

    marigold (mercredi, 09 mai 2018 19:05)

    Il y a l'association Life Circle en Suisse: http://www.lifecircle.ch/ ou encore
    Dignitas: http://www.dignitas.ch/. Mais il n'y a aucune possibilité en France.

  • #1

    Salimi jaleh (mercredi, 09 mai 2018 17:43)

    Bonjour pourriez me, donner l adresse et le n téléphon du centre pour assister à mourir en digne en Suisse ou s il ou en France d il y a un centre pareil en France je vous remerci par avance pour des formation q vous allez me donner.
    Mme salimi jaleh


La sédation profonde et continue de la loi Claeys-Leonetti: réelle avancée ou jeu de dupe ?

Tribune parue dans le Journal International de Médecine le 14 avril 2018

Paris, le samedi 14 avril 2018 - Destinée à répondre aux limites de la première loi Leonetti sur l’accompagnement des personnes en fin de vie, la loi Claeys-Leonetti, adoptée en février 2016, a notamment instauré un droit à « la sédation profonde et continue ». Cette dernière peut être demandée par les personnes "en fin de vie", répondant à certains critères et doit être mise en place, si ces derniers sont remplis, par l’équipe médicale. Ce texte a été présenté par les décideurs politiques comme un consensus parfait permettant de satisfaire ceux qui appellent depuis des années en France à une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté et ceux qui redoutant les dérives et défendant une conception différente de la fin de vie et de la liberté de choisir refusent une telle évolution.

Pourtant, beaucoup ont été déçus. Les premiers ont en effet considéré que ce texte continuait à réserver aux médecins la décision finale. Ils ont surtout regretté que cette méthode ne permette pas un choix réel du moment de sa mort. L’endormissement prive en effet de derniers instants de lucidité et ne permet pas d’être totalement assuré de l’absence totale de souffrance (puisque le contact avec la personne est rompu). Les opposants à l’euthanasie et au suicide assisté sont nombreux à partager ce sentiment que la dignité offerte par la sédation profonde et continue est une dignité déguisée, altérée, puisque la conscience est absente. Ces derniers s’inquiètent par ailleurs d’un risque de dérive. Mais au-delà de ces réflexions qui demeurent théoriques jusqu’à l’instant d’accompagner un proche (ou de mourir soi-même !), comment se passe réellement la sédation profonde et terminale ?

Militante en faveur de la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté (elle a été pendant des années déléguée de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité avant de rejoindre l’organisation Le Choix - Citoyens pour une mort choisie), Annie Babu, assistante sociale, infirmière et pionnière en France de la médiation familiale, témoigne de son expérience.

Dans son récit, composé avec l’écrivain Marie Godard fondatrice de l’association Le Choix - Citoyens pour une mort choisie, elle rappelle tout d’abord l’écart qui existe entre une conviction militante, fondée sur des années de réflexion, et le vécu.

Elle avoue ainsi qu’elle a dû, au moment d’accompagner son compagnon, se renseigner sur la mise en place d’une sédation profonde en Hospitalisation à domicile (HAD), tandis qu’elle révèle comment elle n’avait pas envisagé l’ensemble des enjeux, notamment ceux concernant le ressenti des médecins.

Mais surtout, cette expérience, même si l’accompagnement médical dont son compagnon a bénéficié a été optimal et même si la sédation a pu être mise en place d’une manière adaptée (en dépit de quelques détours et ratés), a renforcé sa conviction que la sédation profonde et continue ne saurait être la réponse à toutes les demandes et à la conception que beaucoup se font de la mort dans la dignité.

En signalant les problèmes posés par l’anéantissement de la conscience, en revenant sur des possibles inégalités, en s’interrogeant sur le respect des directives anticipées, elle soulève des questions qui, à travers ce témoignage sans animosité et sans militantisme, interpelleront probablement beaucoup de nos lecteurs, quelles que soient leurs convictions profondes.

Cette contribution enrichira également la réflexion à l’heure où les Etats généraux de la bioéthique reviennent encore sur ce sujet et au lendemain de l’adoption après un riche débat d’un avis favorable à la légalisation de l’euthanasie par le Conseil économique social et environnemental (CESE). 

Par Annie Babu (assistante sociale et infirmière) et Marie Godard (écrivain), membres fondatrices de l’association Le Choix -Citoyens pour une mort choisie (https://www.mortchoisie.org/ )

 

Annie a perdu son compagnon il y a maintenant deux ans et c’est la première fois qu’elle arrive à raconter ce qu’ont été les dernières semaines de sa vie avant qu’il ne soit emporté par la maladie.


Le témoignage d’Annie arrive à un moment clé, pendant les États Généraux sur les lois de bioéthique et permettra, je l’espère, de mettre en lumière un aspect de la fin de vie dont on parle peu.

Annie, toi qui as accompagné Claude, ton compagnon, qui a bénéficié, en février 2016, d’une sédation profonde et continue à domicile, accepterais-tu de partager ton expérience avec nous ?

Oui, bien sûr, car je pense qu’on connaît mal la façon dont se déroule cette dernière étape de la vie d’un malade, un parcours qui, pour moi, a été long et très douloureux et m’a amenée à me poser de nombreuses questions.

Même si je fais partie des personnes qui ont des connaissances approfondies sur le sujet de la fin de vie et que mon compagnon avait depuis longtemps réfléchi à ce qu’il ferait le moment venu, j’ai quand même dû aller à la recherche d’informations techniques précises sur la façon dont la sédation profonde et continue se déroulait. C’est auprès de l’équipe responsable de l’hospitalisation à domicile  (HAD) qui suivait Claude depuis trois mois que je les ai obtenues.

Dans un premier temps, nous avons tous les deux longuement discuté avec cette équipe (médecin, psychologue, cadre de santé) et il a été convenu que, lorsqu’il le souhaiterait, Claude formulerait officiellement sa demande auprès de l’équipe soignante.

Le ressenti, jusqu’alors non pensé, du médecin

Je n’avais jamais réfléchi à ce que pouvait ressentir un médecin qui donnait son accord à un malade pour qu’il soit placé sous sédation profonde et continue, ce qui signifiait, à toutes fins utiles, qu’il renonçait à combattre la maladie et acceptait de poser un acte qui entraînerait la mort.

C’est lorsque le médecin référent de Claude a refusé d’acquiescer à sa demande, à la fois pour une question d’éthique personnelle car elle estimait que ce n’était pas le rôle d’un médecin que d’aider un malade à mourir et aussi parce qu’elle avait créé des liens forts avec Claude qui lui rappelait son père, que j’en ai vraiment pris la mesure. Mais comme Claude était déterminé, je lui ai demandé avec insistance de trouver un confrère qui accepte de mettre en œuvre le protocole quand Claude le demanderait, ce qu’elle a consenti à faire.

Après qu’un autre médecin a accepté de prendre le relais, il s’est écoulé un certain temps avant que Claude me dise qu’il souhaitait réitérer sa demande.

Le médecin et l’équipe soignante ont alors eu un nouvel entretien avec Claude afin qu’il reconfirme sa décision hors de ma présence.

Une date proche a été fixée pour installer le matériel nécessaire à notre domicile. Le médecin nous a expliqué que la machine serait reliée d’un côté au produit sédatif et de l’autre côté, à un cathéter inséré dans le bras de Claude ; qu’elle enverrait régulièrement des petites doses qu’on appelle "bolus" d’un médicament sédatif qui provoquerait un endormissement de plus en plus profond et que la mort surviendrait quelques jours plus tard. Elle a insisté sur le fait que dès le premier bolus, Claude deviendrait inconscient et nous ne pourrions plus communiquer avec lui.

Le médecin a précisé qu’en cas de forte toux (Claude, du fait de sa maladie, avait de fréquentes quintes de toux qui l'étouffaient) le niveau de la sédation pourrait diminuer et qu’il faudrait alors accélérer le rythme de distribution des bolus en appuyant sur un bouton pour déclencher la diffusion d’une nouvelle dose. Puisque j’étais toujours auprès de lui, il m’appartiendrait donc de le faire.

À l’issue de cet entretien, Claude et moi étions désormais tout à fait au courant de la façon dont le protocole se déroulerait.

Changement d'avis 

Le jour dit, le médecin est arrivée seule et après avoir installé la machine, elle a demandé à voir de nouveau Claude en tête à tête. À l’issue de leur entretien, elle est ressortie de la chambre et m’a annoncé que Claude avait refusé la sédation et acceptait d’être placé dans un lit médicalisé et que les doses de morphine soient augmentées (ce qui aurait pour effet d’altérer de plus en plus sa conscience). Il a aussi accepté de porter des protections, toutes choses qu’il avait toujours refusées jusqu’alors.

Je me suis effondrée car tout le difficile travail préparatoire qui l’avait amené à accepter cette mise sous sédation et que je voyais comme une libération pour lui, était remis en cause.


Voyant mon état, le médecin m’a demandé de ne pas rester à son chevet cette nuit-là, et m’a rassurée en me disant que la fille de Claude prendrait le relais.

À mon arrivée le lendemain, j’ai vu que Claude était dans une autre pièce de la maison dans un lit médicalisé, et qu’une bouteille d’oxygène se trouvait près de son lit. Je me suis installée sur un matelas près de lui afin de le rassurer car j’ai rapidement constaté  que, sans doute à cause de la morphine, il perdait de plus en plus ses repères et que souvent, il ne savait même plus qui il était, qui j'étais, ni où il était.

Cela a duré une dizaine de jours, très éprouvants, pendant lesquels l'équipe  de  l’HAD a continué de venir trois, voire quatre fois par jour, pour lui prodiguer des soins.

Temps suspendus

 

Dans un de ses rares instants de lucidité, Claude a pu me dire pourquoi il avait changé d’avis : il n’était pas encore prêt à renoncer à nos doux moments d'échanges, verbaux et non verbaux, chargés d’émotion et de tendresse, pendant lesquels nous ne parlions pas de ce qui lui arrivait mais vivions, en toute conscience, les derniers instants de notre vie de couple. Il ressentait ces "temps suspendus" comme une accalmie qui l’aidait à accepter sans se plaindre ce qu’il endurait.



.../...

 

.../...

 

Mais pourtant, une dizaine de jours plus tard, Claude m’a dit : « Cette fois c’est fini ». « Qu’est-ce donc qui est fini ? Qu’attends-tu de moi ? ». «  Cette fois, tu appelles le médecin, cette fois, la sédation, je ne la refuserai pas. Je veux qu’on me libère pour que tu sois aussi libérée. J’ai l’impression que tu es devenue mon esclave ». Claude n’avait pas peur de la mort car il croyait dans un au-delà. C’est la déchéance qu’il craignait par-dessus tout, même s’il l’a acceptée par amour pour moi, mais là, il n’en pouvait plus.

 

Alors, comme il le voulait, j’ai pris contact avec le médecin pour lui faire part de sa volonté.

 

Ainsi qu’il le souhaitait, l’équipe soignante allait relancer le protocole, une étape qu’il aurait beaucoup de mal à franchir car il savait qu'à partir de ce moment-là, il ne pourrait plus communiquer avec moi, tandis que les soins palliatifs seraient poursuivis pendant qu’il serait sous sédation et deviendrait de plus en plus inconscient et dépendant. L'équipe de l’HAD est venue s'entretenir avec lui. Quelques jours plus tard, le médecin est revenu avec la machine et a obtenu, cette fois, son consentement.

Au revoir

Ensuite, le médecin m’a laissée un moment seule avec lui, pour que nous puissions nous dire au revoir car nous savions que, dès la première injection, nous ne pourrions plus nous parler. Ce moment fut intense et bouleversant mais plein d'amour et de sérénité, car tous les deux nous étions prêts, lui à partir, moi à le laisser partir.


Alors que je tenais ses mains dans les miennes et que nous nous regardions intensément, le médecin a appuyé sur le bouton. Un bip s’est fait entendre et très vite Claude a fermé les yeux pour ne plus les rouvrir.


A partir de ce moment, Claude ne s’est plus réveillé mais je l’entendais souvent gémir, et dans l’espoir de le soulager, je lui caressais les mains, le visage et je continuais à lui parler. Je ne peux pas affirmer qu’il souffrait mais j’observais des grimaces sur son visage et des contractions dans tout son corps.

Absences

La première nuit, l’appareil s’est brusquement arrêté. J’ai aussitôt appelé l’infirmière de garde qui m’a dit qu’elle ne pouvait pas venir avant deux heures, qui m’ont semblé interminables. J’ai senti à la fin de ce laps de temps que Claude redevenait plus présent, que ses tremblements étaient plus accentués et qu’il était en train de sortir de la sédation.

L’infirmière est enfin arrivée et a pu remettre l’appareil en marche. Elle m’a avoué avoir oublié de mettre la batterie de secours, ce qui m’a amenée à m’interroger sur les possibilités d’une surveillance aussi rapprochée en milieu hospitalier, quand on connaît la pénurie de personnel qualifié…

Le surlendemain, j’ai dû m’absenter pendant une heure et à mon retour, mon fils, qui était resté au chevet de Claude, m’a annoncé, les yeux brouillés de larmes, que Claude avait rendu son dernier souffle, un peu plus de 48h après le début de la sédation.

J’ai été encore plus triste de le voir partir parce que je n’étais pas présente lorsqu’il est mort. J’aurais tant voulu pouvoir lui tenir la main et recueillir sur ma joue son dernier souffle. Mais comme le moment de sa mort était imprévisible, je n’étais pas là…

Comment Claude a vécu la fin de sa vie ?

Claude avait rédigé ses directives anticipées il y a 20 ans et les avait mises à jour en 2016 pour indiquer qu’il voulait bénéficier d’une sédation profonde et continue, ainsi que le permettait désormais la loi Claeys-Leonetti. Il avait également prévu que, si son état et ses moyens financiers le lui permettaient, il partirait en Suisse ou en Belgique pour y mourir, même s’il espérait qu’une loi serait votée qui lui permette de finir sa vie chez lui, entouré de ses proches, et en pleine conscience, grâce au suicide médicalement assisté.


Je sais, parce que nous en avons beaucoup parlé, que si Claude a accepté d’aller au-delà de ce qu’il pensait pouvoir supporter, c’est parce qu’il avait la chance d’être très entouré et surtout parce qu’il avait l’assurance de pouvoir au moins obtenir d’être mis sous sédation lorsque sa vie aurait complètement perdu son sens.

Je ne sais dire si Claude a beaucoup souffert pendant qu’il était sous sédation et si sa mort fut paisible et cela restera toujours pour moi une grande interrogation. Comment aujourd'hui être totalement certain, même avec ce recours à la sédation profonde et continue et à tous les dérivés morphiniques qui y sont associés, qu’il n’y a aucune souffrance dans cette façon d’aller vers la mort ?

Et surtout, pourquoi faire durer cet interminable passage vers l’au-delà quand la personne est prête et accompagnée ? Pourquoi lui infliger de souffrir plus longtemps que ce qui est supportable ? Pourquoi ses proches devraient-ils vivre autant d’inquiétude, d’incertitude ?

Quels enseignements as-tu tirés de cette douloureuse expérience ?

D’abord cela m’a convaincue qu’il est impératif que chacun soit maître de sa vie jusqu’au bout, ce qui ne peut arriver que si l’on a l’assurance que notre choix sera entendu et respecté. La loi actuelle ne traite en fait que de soins palliatifs, comme si ceux-ci étaient la solution à toutes les situations de fin de vie alors que c’est loin d’être le cas. Il faudrait que soit votée une autre loi qui donne au malade un vrai choix sur sa fin de vie.

Un autre élément important qui est à mes yeux inadmissible est que la loi Claeys-Leonetti continue de laisser le dernier mot aux médecins puisqu’il est clairement écrit qu’ils peuvent ignorer les directives anticipées du malade s’ils les jugent inappropriées. Et même lorsque celles-ci sont respectées, ce qu’autorise la loi, sans doute pour préserver le mythe de la mort naturelle, se résume à endormir quelqu’un jusqu’à ce qu’il meure de faim et de soif, ce qui est, à mes yeux, profondément choquant.

Rester présents jusqu’au moment ultime

Pourquoi la fin de vie reste-t-elle un sujet si tabou en France ?  Pourquoi  faut il accepter une loi lâche et, je le redis, hypocrite, qui autorise le "laisser mourir", alors que l’on pourrait, grâce à une loi plus courageuse, éviter aux malades qui le souhaitent, d’avoir à traverser de cette façon leur fin de vie ?


Si une telle loi avait existé quand Claude est mort, nous aurions pu être à ses côtés pour lui dire une dernière fois que nous l’aimons car le moment de sa mort aurait été programmé. Ça, pour moi, est peut-être le plus difficile à accepter…

Et comme si tout cela n’était pas assez, pour de nombreux Français, la loi actuelle est ressentie comme une grande injustice sociale car on sait qu’il est possible à ceux qui en ont les moyens, de se rendre, certes au prix de l'exil, en Belgique ou en Suisse, pour y mourir rapidement, en pleine conscience et les yeux ouverts, en laissant à leurs proches l’image de la sérénité.

Penses-tu que ton expérience reflète celle des pratiques actuelles en matière de fin de vie ?

Il m’est impossible d’en être certaine car il se pourrait bien que le fait que j’aie été très informée et que la fin de vie de Claude se soit déroulée dans un contexte médical optimal, avec une équipe très présente et très disponible avec laquelle j’ai pu dialoguer, ne soit pas à l’image de ce qui se passe pour tous. Qu’en est-il lorsque Monsieur et Madame Tout le Monde ne disposent pas de toute l’information et sont confrontés à un milieu médical moins ouvert et qui n’est parfois pas encore suffisamment informé de ce qui est autorisé en vertu de la loi ?

Inégalités

Je me pose aussi la question de savoir si tous les endroits qui accueillent des gens en fin de vie ont l’équipement nécessaire. Que se passe-t-il dans toutes les régions de France où les services de soins palliatifs sont pratiquement inexistants ou totalement insuffisants, et dans les nombreux hôpitaux où le personnel n’est tout simplement pas formé à la fin de vie ?

Ce que je ne risque pas d’oublier, c’est que pendant les quelques jours où Claude a été placé sous sédation, j’avais le douloureux sentiment d’avoir en face de moi un corps inanimé qui n’appartenait plus qu’à la médecine, qui n’était plus qu’un objet auquel on apportait des soins qui n’avaient plus de sens.

Mais pourquoi faut-il que les législateurs et les médecins se donnent bonne conscience en prolongeant inutilement la vie alors qu’il existe d’autres solutions plus rapides, moins douloureuses, moins coûteuses pour tout le monde, moins traumatisantes et plus dignes pour les malades et leurs proches ?

Cela me rappelle un article que j’ai lu dans Libération en décembre 2013, dont le titre est « J’ai tendu la potion létale » qui témoignait d’une fin de vie par suicide assisté, où la mort a pu survenir sans attendre ce délabrement final, sans souffrance et en respectant la volonté d’une personne qui voulait « être présente et lucide jusqu’au bout ».

Comment est-il possible encore aujourd’hui, alors que les Français demandent très majoritairement à pouvoir choisir leur fin de vie, que la seule possibilité qui leur est offerte soit cette sédation profonde et continue, un protocole que mon expérience personnelle m’autorise à ne pas considérer comme une réponse satisfaisante, tant s’en faut, à l’angoisse de nombreux citoyens qui veulent avoir le droit de choisir leur mort ?

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Commentaires: 1
  • #1

    pillon myriam (samedi, 12 mai 2018 17:42)

    Je suis en accord total avec les commentaires et réflexions d' Annie BABU. Pour mon conjoint décédé fin 2017, il à été entouré de Médecins et une Equipe Médicale que je respecte en tout point .... Le reproche CRUCIALE est que la LOI actuelle m'a empêchée d'être PRÉSENTE à ces cotes pour son "dernier souffle" ... La mise en place d'un "protocole d'accompagnement de fin de vie" début novembre, (lorsqu'elle est bien appliquée" est insuffisante et ne permet pas de prévoir "le jour et l'heure" de la MORT...) j'ai donc du demander à être prévenue de son "départ imminent".... J'ai reçu à mon domicile un appel téléphonique du Centre Hospitalier vers 02 h 45 m'indiquant que Mon Conjoint VIENT de "s’éteindre"...... Le Certificat Médicale De Décès.... 02 h 00 ....


Commentaires: 11
  • #11

    Sylviane Baudart (vendredi, 04 mai 2018 18:36)

    J'ai vécu cette expérience aupres de ma mère en 2007 pour laquelle il a fallu que je me batte avec un médecin hospitalier afin de faire respecter sa volonté de mourir en paix sans acharnement thérapeutique .j'ai été entendue par le chef de service compréhensif .
    Je suis infirmière aujourd'hui Retraitée, et je mesure tous les progrès accomplis dans ce domaine, mais suis d'accord avec vous : cette loi ne va pas assez loin ....

  • #10

    Lavanya (jeudi, 03 mai 2018 13:14)

    Votre témoignage m’a boulversé. Quelle hypocrisie cette sédation monstrueuse ! En appuyant sur le bouton, ils savent très bien qu’ils ont enclenché une mise à mort irréversible et inhumaine ! J’ai l’impression que le médecin qui accepte
    cette sédation veut garder le pouvoir sur leurs patients !
    Chez nous en Belgique, depuis que nous pouvons demander l’euthanasie, mourir est moins terrifiant et plus digne. Pourtant, je préférerais le suicide assisté où je pose cet acte de grande importance moi-même et décharger ainsi le médecin de me faire mourir.
    Je souhaite que vous ayez bientôt ces possibilités

  • #9

    chp2218 (mercredi, 02 mai 2018 20:29)

    Comme je comprends ce témoignage douloureux...J'ai vécu cela aussi lors de la fin de vie de ma maman qui a bénéficié de la loi de février 2016 en octobre de la même année. Après 4 ans de souffrance d'une leucémie et d'un lymphome, les métastases se sont attaquées à tous les organes internes avant de commencer à sortir sur la peau et à la faire horriblement souffrir alors là oui les médecins ont accepté sa demande d'endormissement jusqu'au décès mais ne pouvant nous dire à quel moment celui-ci se produirait... Elle était hospitalisée et le premier jour j'ai tenu auprès d'elle jusqu'à minuit et terriblement épuisée je suis partie me reposer un peu chez moi..., endormie toute habillée sur mon canapé c'est le téléphone qui m'a réveillée à 5 heures du matin pour me dire que c'était fini ! Elle est donc partie seule et je m'en suis voulue, je m'en veux encore aujourd'hui 18 mois après de n'être pas restée auprès d'elle à ce moment là ! C'est très dommage et de nombreuses questions sur son dernier souffle continueront à hanter mes jours jusqu'à mon dernier souffle à moi ! Si tout était plus clair sur ces fins de vie nous n'en serions pas là !

  • #8

    Christel (mardi, 01 mai 2018 16:09)

    Merci pour votre implication.

    je ne suis pas encore prête à lire le témoignage d'Annie Babu car il m'est encore difficile d'évoquer la fin de vie de ma mère.(terrassée par un cancer à 60 ans après 6 mois de combat ). Mais dernièrement ma famille et moi avons dû regarder souffrir mon grand-père de 92 ans après un acharnement thérapeuthique et de faux espoirs pour cet homme fort qui s'est vu dépérir à petit feu pendant 6 mois.... Les derniers jours ont été insupportables et il est parti seul sur un lit d'hôpital. Mon beau-père a pris des médicaments car il n'en pouvait plus de souffrir, il avait 80 ans et endurait des douleurs insupportables depuis plus de 10 ans...Le grand-père de mon beau-frère s'est pendu à 94 ans. Il est temps de faire quelque chose pour redonner de l'humanité à ce qui n'en a pas. Mon père a la maladie de Parkinson et nous dit qu'il tiendra jusqu'au supportable et après? Quand l'insupportable viendra. Je voudrais qu'il puisse choisir une fin digne et sans souffrance supplémentaire. Faudra-t-il que l'on aille en Suisse?

    Comment puis-je être utile à ce que notre société ne se voile plus la face et pouvoir choisir ce n'est pas imposer. Les détracteurs peuvent laisser faire les choses.
    Merci.

    Christel.

  • #7

    Philippe Capdevielle (mardi, 01 mai 2018 13:47)

    Merci pour cette leçon de vie, et de fin de vie, qui je l'espère aidera nos décideurs législateurs à prendre enfin en compte le droit de chacun à choisir SA fin de vie, lucide jusqu'au bout, et celui qui sera aussi le mien, de partir serein, entouré et conscient .

  • #6

    laborde marie (lundi, 30 avril 2018 19:34)

    Je suis complètement d'accord : c'est un sujet très grave et chacun devrait avoir le choix de mourir dans la dignité et de rester ainsi maître de sa vie jusqu'au bout ! Le médecin se doit d'être au service du patient, de l'écouter et de le respecter dans ses choix propres et non être dirigé par des convictions religieuses ou par un code de moralité. De la compréhension et de la Compassion pour tous ceux qui souffrent et décident d'en finir voilà la voie de l'Humilité !!!

    Je suis pour une loi autorisant l'euthanasie ou le suicide assisté comme il existe dans certains pays : c'est ma vie et je souhaite en faire ce que je veux !

  • #5

    Gil (lundi, 30 avril 2018 19:33)

    La vie humaine doit être protégée.la médecine est un élément essentiel.il n'appartient à personne de décider du protocole de fin de vie d'un être qui a fait le choix du moment.pourquoi en dépit du"tu enfanteras dans la douleur ".....la médecine s'éfforce de la comprimer pour la venue au monde et pas dans la fin du parcours terrestre ?.......

  • #4

    Véronique DREF (lundi, 30 avril 2018 19:25)

    Merci d'avoir publié ce beau témoignage.
    J'ai vécu une situation un peu semblable à celle d'Annie. Mon mari nous a quittées il y a 5 mois dans un centre de soins palliatifs, où le personnel soignant est formé à la fin de vie, les médecins sont à votre écoute. Il avait choisi de s'endormir là, dans ce havre de paix, d'humanité, je dirais même d'amour. Il ne voulait plus être un "poids" pour nous, en quelque sorte, il voulait nous libérer de lui et de cette maladie. Ces mois passés avec la DOULEUR, les rdv à hôpital, les chimio, etc.... furent terribles. Après un rdv avec les oncologues, il nous a demandé s'il pouvait cesser de servir de COBAYE, il n'en pouvait plus, il souffrait sans arrêt. Il ne vivait pas bien du tout sa "déchéance". Ne voyant pas d'issue salutaire, il a baissé les bras, a cessé de lutter, de se nourrir. Lui aussi, il a eu ces fameux "bolus", puis a fini par s'endormir toujours en souffrant. Je ne l'ai pas vu partir à 2 h du matin. Quand je suis arrivée à son chevet, il avait enfin un sourire !!!!!!! Il a été très bien accompagné, je pense, mais dès que la décision est prise pourquoi toute cette attente ? Peut-on prendre la DOULEUR en considération ? Il y a celle du patient qui est insoutenable, puis celle de ses proches impuissants. Combien de fois avons-nous entendu "ça fait mal !!!" ? Il n'est plus là, ne souffre plus, mais nous sommes là avec notre peine et pouvons faire bouger les choses. Nous n'appartenons à personne, notre corps n'appartient à personne d'autre qu'à nous, nous sommes seuls face à la maladie, la douleur, les émotions. Il est nécessaire de rendre notre fin de vie acceptable. Je remercie du fond de mon coeur toutes ces belles personnes rencontrées dans ce centre de soins pour leur professionnalisme, leur extrême gentillesse, leur patience, leur écoute, tout ce temps qu'elles ont pris pour parler, accompagner. Il est indispensables de faire bouger les consciences de tous face à la mort. Un médecin doit sauver des vies disait Hippocrate, mais il grand temps d'adapter ce serment. Un grand Merci à vous tous qui faites en sorte que les lois évoluent.

  • #3

    DUVAL Christian (lundi, 30 avril 2018 19:20)

    Merci de ce témoignage .. Qui corrobore d'autres expériences vécues et me confirme dans le bien fondé de nos demandes..
    Merci encore.

  • #2

    Christine Daratsianakis (lundi, 30 avril 2018 14:49)

    C'est avec beaucoup d'émotion que je vous remercie infiniment pour ce partage, si fort, si difficile ..!

    Espérons de toutes nos forces que celui-ci, entre autres..., fera bouger les esprits les plus obtus !!

  • #1

    Aide-soignante anonyme (lundi, 30 avril 2018 14:25)

    Bonsoir,

    Le témoignage courageux d'Annie Babu est très intéressant je l'ai lu deux fois, mais comme elle dit, Claude a eu la chance d'être bien entouré, c'est possible.

    Pour une sédation profonde via les HAD envisagées en Ehpad c'est envisageable mais c'est sûrement une autre histoire. L'HAD vient installer le matériel, avec le dossier protocolaire à côté ok, mais après? A l'Ehpad de s'en dépatouiller!
    Avec un personnel insuffisant et mal formé en la matière. Avec des infirmières qui ont autre chose à faire de leur journée, Mon expérience professionnelle me fait douter que cette sédation profonde en Ehpad (et peut-être même en hôpital) ne soit pas qu'une horreur. Très mal menée, car on est déjà dépassées avec les autres vivants capables eux de se plaindre, dans la résidence.
    Ce que j'ai vu moi de cette façon de mourir en Ehpad n'était pas enviable du tout. D'ailleurs on conseillerait aux familles de s'éloigner un peu pendant ces derniers jours "pas très drôles", et de ne revenir qu'une fois notre appel Cela n'a rien à voir avec l'expérience de Claude.
    Aussi je crains que dans certaines familles, tous ne soient pas aussi bien choyés que Claude l'a été. Dans sa famille parfois c'est pire qu'en Ehpad pour la personne en fin de vie.
    La sédation profonde est loin d'être une bonne solution d'aide à mourir.


Notre tribune parue le 16 avril 2018 dans Libération

Fin de vie : une affaire de médecins et de loi

Par Philippe Bataille Nathalie Gueirard Debernardi et Marie Godard, pour l’association le Choix - Citoyens pour une mort choisie —  (mis à jour à )
La proposition de loi de Jean-Louis Touraine ne s’adresse qu’à des malades qui sont à l’agonie, elle ne prend pas en compte tous ceux qui ne veulent pas arriver à ce stade.
Fin de vie : une affaire de médecins et de loi
En France, il n’existe toujours pas de loi sur l’aide médicale active à mourir. Les Français la réclament pourtant. Ils ont compris que mourir nécessitait parfois une aide médicale active, qu’on l’appelle «euthanasie» ou «suicide assisté». Or, la proposition de loi Touraine prolonge l’esprit des lois en place de 2005 à aujourd’hui, de Leonetti à Claeys-Leonetti. Elle ne comble en rien les vides laissés par les lois actuelles, voire les amplifie. Elle n’empêchera pas les passages de frontières pour trouver hors de l’Hexagone l’humanité et la dignité nécessaires à la quiétude de la mort choisie. Que manque-t-il à la France ? Certains diront que l’influence persistante du catholicisme explique les blocages politiques, d’autres, que la médecine est trop timorée. Les deux sont sans doute vraies. Mais nous n’en sommes plus là et l’heure est aux façons de surmonter ces différents blocages. Les lois ont en cela un rôle important à jouer. En matière de fin de vie, elles ont le pouvoir de calmer les tensions que leur absence provoque, en laissant le citoyen libre de penser sa mort. Car c’est bien de cela qu’il s’agit.
La proposition législative, déposée fin septembre par Jean-Louis Touraine, député du Rhône (groupe LREM), ne s’adresse qu’à des malades qui sont à l’agonie mais ne prend pas en compte tous ceux qui ne veulent pas arriver à ce stade et souhaitent mourir alors qu’ils sont en pleine conscience, au moment qu’ils auront choisi. Elle laisse de côté toutes ces situations où le désespoir personnel est amplifié par l’absence de responsabilité collective. Car la mort n’est pas un choix, c’est le moment et la manière d’y arriver qui peut l’être. On oublie trop souvent que la fin de vie n’est pas qu’affaire de médecins et qu’elle doit tenir compte de l’individu avant tout, mais aussi des lois de notre pays. Entre l’individu et le collectif, il faut qu’un lien existe. C’est à cet impératif moral et politique que la loi répond. Pouvoir finir sa vie dans un encadrement légal est devenu une nécessité en France. Trop d’affaires nous le rappellent. Aucune n’implique la loi Claeys-Leonetti de 2016 dont les décrets sont progressivement mis en place dans les unités de soins palliatifs en répondant à toutes les situations de fin de vie que la médecine peut accompagner. En marge de ces accompagnements en soins palliatifs, il existe d’autres situations qui requièrent une aide médicale à mourir et qui nécessitent une procédure légale. Une nouvelle loi doit désormais impérativement les prendre en compte.

L’association le Choix - Citoyens pour une mort choisie demande à tous les députés de tous les groupes de s’ouvrir à l’aide médicale active à mourir sans craindre les prophéties qui déjà annoncent des dérives. Au contraire, la démonstration a été faite dans les pays où une telle loi existe que les malades s’acheminent plus sereinement vers leur fin de vie et réclament plus tardivement qu’on les aide à mourir, car ils savent que leur volonté sera respectée le moment venu. Il est attendu d’une nouvelle loi qu’elle rende inutiles les milliers d’euthanasies illégales pratiquées chaque année en France et les nombreux départs de malades vers des pays voisins pour aller y mourir, qui renforcent les inégalités entre les citoyens.

Notre collectif les dénonce et s’en indigne d’autant plus que la parole des Français n’est toujours pas entendue. Les coprésidentes de notre association, auteures de deux pétitions citoyennes qui ont recueilli plus de 350 000 signatures, seront prochainement auditionnées dans le cadre des états généraux de la bioéthique et feront en sorte d’attirer l’attention des instances qui consultent. Mais cela ne suffit pas.

Les citoyens, alertés par une foule de procès qui défraient la chronique depuis maintenant plusieurs années, ont connaissance de ces tristes histoires dans lesquelles la mort a été le combat de trop. Ils attendent plus que le simple toilettage d’une loi qui resterait fondamentalement inchangée. L’aide active à mourir nécessite que soit écrite et votée une loi qui définisse précisément le droit des malades à faire valoir leur choix en matière de fin de vie et le cadre dans lequel cette loi s’appliquera. Il faut que cesse ce parcours du combattant et qu’enfin la loi offre une solution sereine à des situations désespérées.

Philippe Bataille Nathalie Gueirard Debernardi Marie Godard pour l’association le Choix - Citoyens pour une mort choisie
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LE MONDE, le 3 avril 2018

 

Sur la fin de vie, les règles sont "trop restrictives et dissuasives" 

 

 

En savoir plus sur

http://www.lemonde.fr/societe/article/2018/03/31/sur-la-fin-de-vie-les-reglessont-trop-restrictives-et-dissuasives_5279038_3224.html#cPRTI1L4X04YdHS7.99

Par François Béguin

LE MONDE | 31.03.2018 à 09h49 • Mis à jour le 03.04.2018 à 11h27

 

 

Unité de soins palliatifs à Argenteuil, en 2013. FRED DUFOUR / AFP

 

 

Véronique Fournier, à la tête du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, alerte sur l’application de la loi Claeys-Leonetti.

 

Deux ans après l’entrée en vigueur de la loi Claeys-Leonetti, la question de la fin de vie s’est invitée au programme des états généraux de la bioéthique. En arrière-plan, une question : le texte a-t-il permis d’améliorer la façon dont on meurt en France ?

 

Alors qu’un premier bilan doit être publié en avril, Véronique Fournier, la présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), créé début 2016, assure au Monde que certains professionnels de santé osent

paradoxalement moins recourir à la sédation profonde et continue jusqu’au décès (une forme d’anesthésie sans réveil) chez les malades en phase terminale qu’avant la loi qui la met en place.

 

« J’étais la première à penser que cette loi allait améliorer les choses et permettrait de faciliter l’accès au soulagement de la souffrance. Je l’avais comprise comme une loi “zéro souffrance”. Or je m’aperçois que ça coince sur le terrain. Pour être sûrs de ne pas transgresser la loi, les médecins vont moins loin qu’avant », explique Mme Fournier, dont la nomination en 2016 avait suscité des inquiétudes chez une partie des professionnels des soins palliatifs, en raison de ses prises de position en faveur d’une « euthanasie palliative ».

 

Elle dénonce les règles d’application de la loi « beaucoup trop restrictives et dissuasives » publiées le 15 mars par la Haute Autorité de santé (HAS). « Il semblerait que ce soit l’aile conservatrice des soins palliatifs qui ait dicté ces recommandations », juge celle qui dirige également le Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin à Paris.

 

« Une course d’obstacles »

 

La HAS explicite notamment ce qu’est un pronostic vital « engagé à court terme », l’un des critères nécessaires pour bénéficier d’une sédation profonde : cela correspond à « quelques heures » ou« quelques jours », pas au-delà. Pour Véronique Fournier, cette précision « exclut » des patients comme Anne Bert, cette femme atteinte de la maladie de Charcot qui avait médiatisé sa future euthanasie en Belgique.

 

Selon Mme Fournier, elle aurait dû pouvoir obtenir une sédation profonde et continue alors même qu’elle n’était pas à quelques heures ou jours de son décès : « Aujourd’hui, les malades atteints de maladies neurodégénératives ont beaucoup de mal à obtenir des sédations profondes et continues à l’heure où ils estiment eux que leurs souffrances sont devenues insupportables et alors que l’on peut difficilement contester qu’ils sont en fin de vie. J’ai beaucoup de remontées en ce sens. »

 

Lire aussi : Etats généraux de la bioéthique : les anti-PMA en force

 

La HAS précise aussi que la demande du patient doit être faite « au cours d’entretiens répétés ». La présidente du CNSPFV voit dans cette règle « une course d’obstacles » pour le patient, désormais contraint de « justifier sa demande à plusieurs reprises devant des gens différents alors même qu’il se trouve à un stade ultime de sa maladie ». « Il a le temps de mourir trois fois », juge-t-elle.

 

Quant au médecin généraliste n’exerçant pas dans une unité de soins palliatifs, « il sera dissuadé de recourir à une procédure aussi lourde et quasi impossible à appliquer en ville ». Conséquence : « il y aura encore moins de gens soulagés ».

 

« Beaucoup de patients la réclament »

 

Pour elle, les médecins doivent pouvoir s’approprier cette pratique de la sédation en fin de vie « car beaucoup de patients la réclament », y compris en Belgique ou en Suisse, qui autorisent l’euthanasie ou le suicide assisté. « Ce sont des demandes différentes, assure-t-elle. Si la loi française décidait d’aller plus loin, cela ne changerait probablement rien à cette demande particulière de sédation en fin de vie, dont on sait que, dans tous les pays qui la mesurent, elle

accompagne entre 15 % et 20 % des décès. »

 

A la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, on estime que les recommandations de la HAS « ne sont ni restrictives ni trop larges ». « Elles donnent une assise à la loi en fixant des critères précis, se félicite Anne de la Tour, sa présidente, en rappelant que ces sédations « de dernier recours » ne sont « pas à banaliser » et qu’elles ne répondent pas à « ceux qui veulent mourir, mais à ceux qui vont mourir ».

 

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/societe/article/2018/03/31/sur-la-fin-de-vie-les-reglessont-

trop-restrictives-et-dissuasives_5279038_3224.html#KKOrrRaGD0qbx9ZH.99

LE MONDE | 31.03.2018 à 09h49 • Mis à jour le 03.04.2018 à 11h27 |

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LIBERATION - 15 mars 2018

C'était l'une des avancées de la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie. Dans des recommandations, la Haute Autorité de santé en limite fortement la portée.

 
  •    Fin de vie : la Haute Autorité de santé veut fermement encadrer la sédation terminale
  • Avec la loi Leonetti-Claeys de 2016 sur la fin de vie, le législateur avait laissé un certain flou autour de cette nouveauté que constituait «la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès». Manifestement, la Haute Autorité de santé (HAS) a voulu le lever. Rendues publiques ce jeudi, ses recommandations portent une vision restrictive de cette avancée, en créant une frontière stricte entre ladite sédation qui vise à faire dormir et l’euthanasie qui vise à provoquer le décès.
Mais est-ce possible ? Y a-t-il vraiment une limite ? Une fin de vie médicalisée est souvent complexe, difficile. Cela peut être aussi incertain, ni toujours très clair, ni toujours bien compréhensible. En tout cas, cela n’est en rien naturel, et entre le «laisser mourir» et «le faire mourir», les frontières sont ténues. Exemple : lorsque l’on arrête un traitement ou un respirateur artificiel en l’accompagnant d’un fort sédatif, n’est-on pas déjà dans le «faire mourir» ? Même le monde des soins palliatifs est partagé, sachant que les postures en la matière ne sont pas toujours très opérantes. Bon nombre d’experts, comme l’ancien président du Comité consultatif national d’éthique, le professeur Didier Sicard, le reconnaissaient également et se montraient partisans d’une vue large de la sédation. Quant aux deux auteurs de la loi, Jean Leonetti comme Alain Claeys, ils disaient que cette sédation était une façon détournée mais réelle de répondre à certaines demandes d’euthanasie. «Il faut laisser un peu de latitude aux équipes», nous expliquait alors Alain Claeys.
 
De fait, que dit la loi ? Cette sédation, c’est-à-dire endormir une personne jusqu’à la perte de toute conscience, peut être mise en œuvre chez un patient qui, «atteint d’une affection grave et incurable, demande d’éviter toute souffrance et de ne pas subir d’obstination déraisonnable». Cela est possible dans deux situations suivantes. «S’il présente une souffrance réfractaire aux traitements et que le pronostic vital est engagé à court terme. Et une seconde situation, si le patient décide d’arrêter un traitement et que cette décision engage son pronostic vital à court terme et qu’il est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable». Dans ces deux cas, le patient peut alors demander une sédation jusqu’à la mort, et le médecin ne peut pas la lui refuser. Si le patient n’est pas conscient, c’est au médecin de faire le choix.

Tout n’est pourtant pas réglé car en la matière, les mots peuvent être interprétés. La HAS a donc choisi une position tranchée. D’abord cette affirmation : «Une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès est une réponse à la souffrance réfractaire ; elle n’est ni une euthanasie, ni une réponse à une demande d’euthanasie.» Propos bien définitifs… Ensuite ? Pour y avoir droit, c’est presque un parcours du combattant : si la personne est consciente, c’est au patient certes de décider, mais «le médecin doit s’assurer de sa vraie volonté»,demander éventuellement un avis à des psychiatres, évoquer avec lui les différentes possibilités, y compris celle d’une sédation limitée avec possibilité de réveil, et bien sûr une procédure collégiale doit être faite avant de l’entreprendre. Bref, cela se mérite.

 Vision restrictive

Deuxième limitation forte que recommande la HAS : le pronostic du patient doit en effet être engagé à court terme pour en bénéficier, dit la loi. Mais que veut dire le court terme ? Quelques heures ? Quelques jours ? Quelques semaines ? Cette incertitude législative permettait de faire face à des situations différentes. Réponse sèche de la HAS : «Une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès ne peut être envisagée que si le décès est proche, attendu dans les quelques heures ou quelques jours qui viennent.» Et ce rappel, à nouveau: «Si le décès est attendu dans un délai supérieur à quelques jours et que les symptômes sont réfractaires, une sédation réversible de profondeur proportionnée au besoin de soulagement est discutée avec le patient.»

 

Pour la HAS, le court terme se limite donc à quelques jours. Ce qui, de ce fait, limite là encore nettement l’utilisation possible de la sédation. Enfin, «la SPCMD peut être réalisée en établissement de santé, mais également au domicile ou en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, y compris si un médecin en charge du patient suffisamment disponible se sent isolé sur son territoire. Chaque situation est singulière et complexe». Certes, mais actuellement, les médicaments pour cette sédation ne sont disponibles que par le biais d’une prescription hospitalière.

C’est donc, au final, une vision restrictive de cette avancée législative que recommande la HAS. Il n’est pas sûr qu’à mettre autant de garde-fous et de contraintes à son application, la HAS n’aboutisse pas à l’effet inverse, c’est-à-dire à relancer le débat sur la nécessité d’une nouvelle loi sur la fin de vie médicalisée.

Eric Favereau

 

 

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LE CHOIX - CITOYENS POUR UNE MORT CHOISIE