TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE CHÂLONS-EN-CHAMPAGNE

N°1800820

___________

M. Pierre K...et autres

___________

M. Olivier Nizet

M. Antoine Durup de Baleine

M. Antoine Deschamps

Juges des référés

___________

Audience du 21 janvier 2019

Lecture du 31 janvier 2019

__________

54-035-03

61-05

C+

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le tribunal administratif

de Châlons-en-Champagne

Le vice-président du tribunal administratif et

les juges des référés, statuant dans les conditions

prévues au dernier alinéa de l’article L. 511-2

du code de justice administrative

Vu la procédure suivante :

Par des ordonnances du 20 avril 2018 et du 2 juillet 2018, le juge des référés, saisi en

application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative et statuant dans

les conditions prévues au dernier alinéa de l’article L. 511-2 du même code, a décidé, avant

de se prononcer sur les conclusions présentées par M. Pierre K..., Mme Q...K..., M. B...V...et

Mme A...K...épouse I...tendant notamment à la suspension de la décision du 9 avril 2018 par

laquelle le DrO..., chef de l’unité de patients cérébro-lésés du centre hospitalier universitaire

de Reims (CHU), a décidé d’arrêter la nutrition et l’hydratation artificielles dont bénéficie M.

P...K...et d’assortir l’arrêt de ce traitement d’une sédation profonde et continue, d’ordonner une

expertise portant sur l’état de santé actuel de M. P . . . K..., de dire si cet état de santé marque,

par rapport à celui évalué en 2014, une évolution et dans l’affirmative, la décrire et de se

prononcer sur la capacité de déglutition de M. P...K...en indiquant si elle est susceptible

de permettre, à terme, et éventuellement après une rééducation, une alimentation et

une hydratation fonctionnelles.

Le rapport d’expertise a été déposé au greffe du tribunal le 19 novembre 2018.

Par un mémoire en intervention, après expertise, enregistré le 17 janvier 2019, l’Union

nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés, représentée par

la SCP Piwnica et Molinié, conclut aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures par

les mêmes moyens.

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Elle ajoute en outre que :

- il résulte de l’expertise que la situation de M. P...K...ne justifie pas une interruption de

l’alimentation et de l’hydratation artificielles dont il bénéficie et que les traitements prodigués ne

relèvent pas de l’obstination déraisonnable ;

- la volonté de M. P...K...quant à un éventuel arrêt des soins n’est pas établie ;

- dans ces circonstances, l’interruption de l’alimentation et de l’hydratation de M. P...

K..., ne satisfait pas aux conditions posées par la loi.

Par un mémoire en défense, après expertise, enregistré le 18 janvier 2019, le centre

hospitalier universitaire de Reims, représenté par Me Pierre Desmarais, conclut aux mêmes fins

que dans ses précédentes écritures, par les mêmes moyens.

Il ajoute en outre que :

- l’expertise confirme que l’obstination déraisonnable est établie par le caractère

incurable des lésions du patient, une altération de son état de santé général, l’irréversibilité

de l’état végétatif dans lequel il se trouve, l’absence de toute autonomie physique ou

relationnelle et sa dépendance à l’alimentation et à l’hydratation artificielles ;

- le sens de la volonté du patient – ne pas subir des soins relevant de l’obstination

déraisonnable - a été admise par le Conseil d’Etat dès 2014 ;

- la majorité des avis recueillis par le Dr O...confirment la volonté de ne pas subir des

soins relevant de l’obstination déraisonnable.

Par un mémoire en défense, après expertise, enregistré le 18 janvier 2019, M. S... K...,

représenté par Me Gérard Chemla, conclut aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures,

par les mêmes moyens.

Il ajoute en outre que :

- tant les conditions de forme que les conditions de fond posées par les articles

L. 1110-5, L. 11105-5-1 et R. 4127-37-2 du code de la santé publique ont été respectées à

l’occasion de l’édiction de la décision en litige ;

- il y a obstination déraisonnable à maintenir M. P...K...en vie ;

- l’expertise confirme l’impossibilité pour le patient de retrouver une déglutition

fonctionnelle et relève qu’il est dans une situation d’incapacité fonctionnelle psycho-motrice

totale, comparable à celle enregistrée en 2014, sous réserve de minimes aggravations ;

qu’il se trouve dans un état végétatif chronique.

Par un mémoire, après expertise, enregistré le 20 janvier 2019, M. PierreK...,

Mme Q...K..., M. B...V...et Mme A...K...épouse I...concluent aux mêmes fins que dans leur

requête par les mêmes moyens et demandent en outre, le renvoi de l’affaire, que soit prononcée

la nullité de l’expertise et qu’une contre-expertise soit ordonnée.

Ils ajoutent en outre que :

- l’affaire ne peut être jugée par le tribunal avant que le recours en cassation relatif à

l’instance introduite pour cause de suspicion légitime, pendant devant le Conseil d’Etat, ne soit

jugé ;

- les opérations d’expertise se sont déroulées en méconnaissance du principe

du contradictoire ;

- les experts n’étaient pas les maîtres de l’expertise ;

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- les experts n’ont pas répondu aux dires qui ont été produits et n’ont pas tenu compte

des éléments contenus dans ces productions ;

- la méthode d’évaluation retenue par les experts n’est pas conforme aux règles de l’art ;

- les experts n’ont pas entendu M. V...et Mme I...en dépit de la demande de ces

derniers ;

- la condition posée par les articles L. 1110-5 et suivants du code de la santé publique,

tenant à l’existence d’une obstination déraisonnable n’est pas remplie ;

- la volonté de M. P...K...n’est pas connue ;

- le Dr O...s’est abstenu de rechercher un consensus ;

- l’équipe médicale du CHU de Reims n’était pas majoritairement favorable à l’arrêt

des soins ;

- le DrO..., dans la décision en litige, retient que la poursuite des soins ne constitue pas

une obstination déraisonnable.

Vu :

- le rapport de l’expert enregistré le 19 novembre 2018 au greffe du tribunal ;

- l’ordonnance du 18 décembre 2019 par laquelle le président du tribunal administratif a

taxé les frais et honoraires de l’expertise confiée au professeur W à la somme de 3 480 euros et a

mis provisoirement ces frais et honoraires à la charge du CHU de Reims ;

- l’ordonnance du 18 décembre 2019 par laquelle le président du tribunal administratif a

taxé les frais et honoraires de l’expertise confiée au professeur Y à la somme de 1 920 euros et a

mis provisoirement ces frais et honoraires à la charge du CHU de Reims ;

- l’ordonnance du 18 décembre 2019 par laquelle le président du tribunal administratif a

taxé les frais et honoraires de l’expertise confiée aux professeurs X... à la somme de 2 706,35

euros et a mis provisoirement ces frais et honoraires à la charge du CHU de Reims ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017 ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a décidé que la nature de l’affaire justifiait qu’elle soit jugée, en

application du dernier alinéa de l’article L. 511-2 du code de justice administrative, par

une formation composée de trois juges des référés et a désigné M. Nizetet M.Durup de Baleine,

présidents et M. Deschamps, premier conseiller, pour statuer sur la demande de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 21 janvier 2019 à 14 heures 30 :

- le rapport de M.Nizet,

- les observations de Me Triompheet de Me Paillotreprésentant M. PierreK...et autres,

qui soutiennent que :

- les exigences du droit au recours effectif et d’un procès équitable font

obstacle à ce que le tribunal puisse statuer avant que le Conseil d’Etat se soit prononcé

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sur le pourvoi dont il a été saisi contre l’arrêt de la cour administrative d’appel

de Nancy du 16 janvier 2019 ; en conséquence, l’affaire doit être renvoyée ;

- ont été demandées l’invalidation partielle de l’expertise et la prescription

d’une contre-expertise mais la teneur du mémoire présenté par le tribunal devant la cour

administrative d’appel de Nancy fait obstacle à ce que le tribunal puisse se prononcer

sur ces demandes en présentant les apparences et garanties d’impartialité nécessaires ;

- les experts ont méconnu le contradictoire et une expertise dans les règles

de l’art implique de la confier à des spécialistes de la prise en charge des patients en état

végétatif chronique ou pauci-relationnel, ce que ne sont pas les trois experts désignés

par le tribunal ;

- ces derniers ont tronqué des pièces essentielles à l’examen de l’état actuel

de M. P... K... et conclu à tort à l’absence d’éléments non significatifs

d’un état pauci-relationnel, alors que les vidéos pourtant visionnés par les experts

prouvent qu’il demeure dans un tel état et qu’il existe une possibilité d’amélioration

de cet état ; en outre, des vidéos réalisés en 2018 montrent qu’il réagit à l’appel

de son nom par sa mère ou d’autres personnes proches et, le 18 juillet 2018, il a vocalisé

en réaction aux propos de sa mère évoquant un déplacement familial durant été ;

- l’évaluation par le professeur Naccache en octobre 2017, ponctuelle, ciblée

dans le temps à un seul moment donné, n’est pas significative ;

- le rapport d’expertise ne répond pas à la question déterminante

de la fluctuation de l’état des patients en état végétatif chronique ou pauci-relationnel et

les experts ont négligé de faire réaliser un nouvel examen par IRM ;

- les règles de l’art imposaient la réitération d’une évaluation de l’état

de conscience de type CRS-R au moins 5 fois sur une période d’au moins 10 jours,

ce dont se sont abstenus les trois experts ;

- les résultats de l’examen par IRM de 2014 ne sont pas suffisamment

significatifs, dès lors que la neuro-imagerie ne vient qu’en troisième lieu dans

les techniques d’évaluation de l’état fluctuant des patients en état végétatif chronique ou

pauci-relationnel ;

- l’absence de manifestation de la conscience ne saurait permettre d’en

conclure au défaut de conscience et le livre blanc de 2018 montre que les personnes que

l’on croit en état végétatif ne le sont peut-être pas ;

- l’évaluation de l’état actuel de conscience de M. P...K...est impossible dans le

contexte d’enfermement du centre hospitalier universitaire de Reims et une évaluation

itérative de cet état dans un lieu neutre est indispensable ;

- les lettres des 20 et 21 janvier 2019, signées par des dizaines de médecins et

soignants, dont nombre de spécialistes de la prise en charge des patients en EVC/EPR,

infirment tant la méthode que les conclusions du rapport d’expertise ;

- en définitive, le rapport d’expertise, établi au mépris des règles de l’art, est

sans valeur médicale et scientifique ;

- l’APHP vient d’ouvrir une unité dédiée à l’accueil de patients en EVC/EPR et

est à même d’assurer une prise en charge optimale de M. P...K..., alors que ce dernier

n’est accueilli à Reims que par un service de soins palliatifs dirigé par un gériâtre ;

- quant aux capacités de déglutition de M. P...K..., il existe une possibilité

de rééducation à la déglutition, il est capable d’une déglutition réflexe mais aussi,

comme il a été prouvé les 7 et 8 septembre 2018, de déglutir sa salive, ce qui témoigne

d’une possibilité d’amélioration de son état. La plupart du temps, les patients en

EVC/EPR sont alimentés pour partie par la bouche et pour partie par gastrostomie et il

est faux de conclure que, dans le cas de M. P...K..., une alimentation « plaisir » ne soit

plus possible, alors qu’il n’a pas été réalisé un protocole de déglutition et que peut être

envisagée une réhabilitation de l’alimentation orale ; le professeur X... a constaté une

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vocalisation au moment de son examen mais sans indiquer la réponse qu’elle en tire, les

experts écartant sans raison ni explication les éléments ne militant pas dans le sens de

leurs conclusions ;

- une obstination déraisonnable au sens de l’article L. 1110-5-1 du code

de la santé publique comme de la jurisprudence n’est pas établie et les experts

le constatent d’ailleurs eux-mêmes ; il n’y a pas d’acharnement thérapeutique car M. P...

K...ne souffre pas d’un syndrome douloureux, d’une souffrance habituelle et réfractaire

justifiant une analgésie ou une sédation profonde et l’infection urinaire a pu être traitée

et jugulée en 2018 ; une obstination déraisonnable ne pourrait dès lors être qualifiée

qu’en présence d’une comorbidité, liée à une infection urinaire récurrente, ou

pulmonaire avec respiration artificielle, ou encore un cancer impliquant un autre

traitement qu’une alimentation et une hydratation artificielles, ce qui supposerait donc

une autre affection que l’état EVC/EPR lui-même ;

- la volonté de M. P...K...reste inconnue ; au mieux peut être évoquée

une volonté supposée et présumée, mais non prouvée, alors en outre que la prise en

considération de la volonté n’est pas en elle-même un critère légal de l’obstination

déraisonnable ; la volonté ne pourrait être supplétive de l’absence d’une telle

obstination qu’en présence d’un patient conscient mais non pour un patient inconscient,

à l’égard duquel l’obstination déraisonnable ne pourrait alors être reconnue qu’en

présence d’une situation de comorbidité ;

- la seule solution envisageable est un transfert de M. P...K...dans

une autre unité spécialisée dans la prise en charge des patients en EVC/EPR.

- les observations de MeR..., représentant l’Union nationale des associations de familles

de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés qui soutient que :

- la situation de M. P...K...ne caractérise pas une obstination déraisonnable et

l’alimentation et l’hydratation artificielles dont il bénéficie, sinon contribuent à

améliorer son état, du moins permettent d’en prévenir une aggravation et, dès lors, sont

d’une utilité avérée ;

- la volonté du patient ne saurait être supplétive de l’absence des conditions

légales de caractérisation de l’obstination déraisonnable, sauf pour le médecin et le juge

à se livrer à une appréciation subjective ne relevant pas de leurs offices ;

- admettre le contraire serait nier l’accompagnement éthique qu’appellent

les patients en état EVC/EPR ;

- les motifs de la décision en litige qui précise que l’état de M. P... K... ne

répond pas à une « obstination déraisonnable, sont en contradiction avec son dispositif

qui retient l’arrêt des soins ;

- les observations de MeU..., représentant le centre hospitalier universitaire de Reims,

qui soutient que :

- M. P...K...bénéficie d’une prise en charge optimale eu égard à son état

de santé ;

- l’évolution de cet état de santé témoigne d’une minime aggravation ;

- la situation de l’espèce caractérise une obstination déraisonnable et la volonté

du patient est de cesser le traitement dont il fait actuellement l’objet ;

- les observations de MeL..., représentant Mme H...K..., qui soutient que :

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- il ne saurait être fait abstraction des motifs de l’ordonnance avant dire droit

du 20 avril 2018 ;

- aucune amélioration de l’état de M. P...K...ne peut être attendue et il présente

des traces de foyers pulmonaires cicatriciels liées à des fausses routes antérieures

résultant de tentatives d’alimentation irrégulières et clandestines ;

- les critères de caractérisation d’une obstination déraisonnable sont remplis et

le traitement actuel a pour seul effet le maintien artificiel de la vie ;

- les observations de MeD..., représentant de M. S...K..., qui soutient que :

- les requérants s’emploient à déployer une stratégie de rupture à laquelle

la juridiction ne doit pas prêter le flanc ;

- l’appréciation de la qualité de vie du patient en état EVC/EPR appartient

au patient lui-même et non à son entourage ;

- le râle de Vincent K...n’est pas contributif, la déglutition n’est que réflexe et il

n’y a aucun espoir de reprise de l’alimentation autre que par gastrostomie, ni d’espoir

d’une amélioration de l’état de M. P...K... ;

- sur la question de la qualification ou non d’une obstination déraisonnable,

les experts ont répondu à une question qui ne leur était pas posée, alors que

cette question a déjà été tranchée ;

- le tribunal n’a pas d’autre office que d’appliquer la loi.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience à 16h22.

Considérant ce qui suit :

1. M. PierreK..., Mme Q...K..., M. B...V...et Mme A... K... épouse I...ont saisi le

tribunal, sur la fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, aux fins

d’obtenir, d’une part, la suspension de la décision du 9 avril 2018 par laquelle le DrO..., chef de

l’unité de patients cérébro-lésés du centre hospitalier universitaire de Reims (CHU), a décidé

d’arrêter la nutrition et l’hydratation artificielles dont bénéficie M. P... K...et d’assortir l’arrêt de

ce traitement d’une sédation profonde et continue, et, d’autre part, que soit ordonné le transfert

de M. P... K... dans un autre établissement de soins ou pour le moins dans le service de médecine

physique et de réadaptation du CHU de Reims. Par une ordonnance du 20 avril 2018, modifiée

par une ordonnance du 2 juillet 2018, le juge des référés, statuant dans les conditions prévues

au dernier alinéa de l’article L. 511-2 du code de justice administrative, après avoir admis

l’intervention de l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de

cérébro-lésés, a écarté l’exception de chose jugée et les fins de non recevoir opposées en défense

et a retenu que la condition d’urgence prévue par les dispositions précitées était remplie. Statuant

sur l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, il a

ordonné une expertise afin de déterminer l’existence d’une évolution de l’état de santé de M.

P...K...et de ses capacités de déglutition, a réservé la question du sens de la volonté du patient et

a écarté l’ensemble des autres moyens et conclusions invoqués par les requérants. Les experts

ont rendu leur rapport le 19 novembre 2018.

Sur l’office du juge des référés statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice

administrative :

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2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi

d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner

toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne

morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public

aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale.

Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. » .

3. En vertu de cet article, le juge administratif des référés, saisi d’une demande en

ce sens justifiée par une urgence particulière, peut ordonner toutes mesures nécessaires à

la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté

une atteinte grave et manifestement illégale. Ces dispositions législatives confèrent au juge

des référés, qui statue, en vertu de l’article L. 511-1 du code de justice administrative, par

des mesures qui présentent un caractère provisoire, le pouvoir de prendre, dans les délais

les plus brefs et au regard de critères d’évidence, les mesures de sauvegarde nécessaires à

la protection des libertés fondamentales.

4. Toutefois, il appartient au juge des référés d’exercer ses pouvoirs de manière

particulière, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice

administrative d’une décision, prise par un médecin sur le fondement du code de la santé

publique, et conduisant à interrompre ou à ne pas entreprendre un traitement au motif que

ce dernier traduirait une obstination déraisonnable, dans la mesure où l’exécution

de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie. Il doit alors, le cas échéant

en formation collégiale, prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour faire obstacle à

son exécution lorsque cette décision pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, en

procédant à la conciliation des libertés fondamentales en cause, que sont le droit au respect

de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir

un traitement qui serait le résultat d’une obstination déraisonnable.

Sur la régularité de l’expertise :

5. Le collège de trois experts désigné par ordonnance du 3 juillet 2018 du président

du tribunal était composé d’un professeur des universités-praticien hospitalier, disposant

de la double spécialisation de neurologue et de neurochirurgien, d’un professeur

des universités-praticien hospitalier, spécialisé en neurochirurgie et d’un professeur

des universités-praticien hospitalier, spécialisé en otorhinolaryngologie. Ne figure pas dans

la liste des spécialités médicales déterminées par le conseil national de l’ordre des médecins

de spécialité relative aux soins des patients en état végétatif ou de conscience minimale.

La circonstance qu’aucun médecin ayant exercé dans un service assurant la prise en charge

de ces patients n’ait été retenu pour faire partie du collège d’experts, alors que les trois experts

désignés n’auraient, selon les requérants, pas eu une expérience spécifique de la prise en charge

de tels patients, est insuffisante pour établir qu’ils n’auraient pas disposé, eu égard à

leurs fonctions et spécialités, des compétences nécessaires et appropriées à l’exécution

de leur mission.

6. Deux membres du collège d’experts ont, dès le 7 septembre 2018, à l’hôpital

Sébastopol, établissement dépendant du centre hospitalier universitaire de Reims, examiné

une première fois M. P...K..., en dehors de la présence des parties. Toutefois les constatations

faites à l’occasion de ce premier examen, et les conclusions qui en ont été tirées par les experts,

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ont été soumises aux parties qui ont pu les discuter dès le 8 septembre 2018, puis en adressant

aux experts leurs observations sur le pré-rapport d’expertise établi le 22 octobre 2018.

7. Les parties ont eu accès au dossier médical de M. P...K... et notamment aux résultats

d’une imagerie par résonance magnétique (IRM) réalisée en 2014 qui a permis au collège

d’experts d’identifier et quantifier les lésions dont il est victime. Si les requérants font valoir que

le temps qui a été laissé à leurs médecins conseils pour consulter ce dossier était insuffisant, il ne

résulte pas de l’instruction que le rapport d’expertise serait fondé sur un élément dont ils

n’auraient pas eu connaissance et qui était de nature à avoir une influence sur la réponse faite par

les experts aux questions qui leur étaient posées.

8. D’une part, il ressort des termes mêmes du rapport d’expertise que les experts ont

examiné les pièces fournies par les requérants et notamment l’ensemble des enregistrements

vidéo montrant M. P...K... et, au demeurant, ont précisé quel était leur avis sur la valeur de telles

images. Si les requérants soutiennent qu’un « dire n° 4 » du 27 septembre 2018, n’aurait pas été

visé, le document auquel il est fait référence constitue une simple invitation aux experts à

télécharger sur internet des vidéos présentées comme ayant été réalisées le 24 mai 2018 et

n’avait dès lors pas à être visé en tant que dire. Au demeurant, il résulte de l’instruction que les

experts ont téléchargé et examiné les pièces ainsi mises à leur disposition. Les requérants ne

sont, par suite, pas fondés à soutenir que les experts auraient tronqué des pièces essentielles à

l’examen de l’état actuel de VincentK.généraux, et n’apportent aucun élément probant, propre au

cas spécifique de M. P...K, alors que les experts relèvent, dans la réponse aux dires produits par

les requérants et leurs médecins conseils lors de la discussion contradictoire du pré-rapport

d’expertise, qu’à la vue des examens précités a été constaté l’existence de lésions d’une telle

gravité, dont au demeurant les requérants admettent l’importance, qu’ils permettaient à eux seuls,

sans autres examens et sans qu’il soit besoin de recourir à un nouvelle IRM fonctionnelle, de

répondre aux termes de leur mission D’autre part, les experts qui n’étaient pas tenus de répondre

à tous les arguments des parties, ont pris connaissance des dires qui leur ont été adressés, les ont

annexés à leur rapport et au demeurant y ont répondu.

9. Il résulte de l’instruction que Mme I...et M. V...qui, sans faire état d’une objection

légitime, n’étaient pas présents au jour de l’expertise qui s’est tenue le 8 septembre 2018, y

avaient été convoqués, comme l’ensemble des parties à l’instance. L’article 4 de l’ordonnance du

20 avril 2018 qui prévoit que : « Les experts devront rencontrer l’équipe médicale, le personnel

soignant chargé de M. P...K..., ainsi que l’ensemble des parties qui le souhaitent. (…) »,

n’imposait pas aux experts de recevoir, en dehors de la réunion d’expertise du 8 septembre 2018,

Mme I...et M.V.généraux, et n’apportent aucun élément probant, propre au cas spécifique de M.

P...K, alors que les experts relèvent, dans la réponse aux dires produits par les requérants et leurs

médecins conseils lors de la discussion contradictoire du pré-rapport d’expertise, qu’à la vue des

examens précités a été constaté l’existence de lésions d’une telle gravité, dont au demeurant les

requérants admettent l’importance, qu’ils permettaient à eux seuls, sans autres examens et sans

qu’il soit besoin de recourir à un nouvelle IRM fonctionnelle, de répondre aux termes de leur

mission Si ces derniers ont présenté des demandes en ce sens, le fait que les experts n’y ont pas

donné suite, ne vicie pas, dans ces circonstances, la régularité de l’expertise. En outre, d’une

part, il leur était loisible, d’adresser, par écrit, au collège d’experts tout élément qu’ils

souhaitaient porter à sa connaissance, ce qu’ils se sont abstenus de faire et d’autre part, ils étaient

représentés lors de l’expertise par leurs avocats assistés de trois médecins conseils.

10. Aucune disposition légale ou réglementaire n’interdit au magistrat ayant désigné

un expert d’assister aux opérations d’expertise. D’une part, la présence du président du tribunal

administratif de Châlons-en-Champagne, le 8 septembre 2018, lors de l’expertise, ne saurait en

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elle-même être de nature à vicier ladite expertise. D’autre part, il ne résulte pas de l’instruction,

et notamment du rappel des conditions dans lesquelles s’est déroulée l’expertise, tel qu’il figure

dans le rapport, que sa présence aurait fait obstacle à son bon déroulement, comme les requérants

l’allèguent et que les experts n’auraient pas eu la maitrise des opérations d’expertise.

11. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que

la procédure d’expertise serait entachée d’irrégularité.

Sur les dispositions législatives applicables résultant notamment de la loi du 2 février 2016 :

12. Aux termes de l’article L. 1110-5 du code de la santé publique : « Toute personne a,

compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit

de recevoir, (…) les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier

des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité

sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances

médicales avérées. (…) ». Aux termes de l’article L. 1110-5-1 du même code : « Les actes

mentionnés à l'article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en oeuvre ou poursuivis lorsqu'ils

résultent d'une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou

lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou

ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état

d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire. / La

nutrition et l'hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés

conformément au premier alinéa du présent article. (…) ».

13. Aux termes de l’article R. 4127-37-2 du code de la santé publique : « I. –

La décision de limitation ou d'arrêt de traitement respecte la volonté du patient antérieurement

exprimée dans des directives anticipées. Lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté,

la décision de limiter ou d'arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d'une obstination

déraisonnable, ne peut être prise qu'à l'issue de la procédure collégiale prévue à l'article

L. 1110-5-1 et dans le respect des directives anticipées et, en leur absence, après qu'a été

recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l'un

des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient. (…) ».

14. Si, aux termes de la loi, l’alimentation et l’hydratation artificielles sont au nombre

des traitements susceptibles d’être arrêtés lorsque leur poursuite traduirait une obstination

déraisonnable, la seule circonstance qu’une personne soit dans un état irréversible

d’inconscience ou, à plus forte raison, de perte d’autonomie la rendant tributaire d’un tel mode

d’alimentation et d’hydratation ne saurait caractériser, par elle-même, une situation dans laquelle

la poursuite de ce traitement apparaîtrait injustifiée au nom du refus de l’obstination

déraisonnable.

15. Pour apprécier si les conditions d’un arrêt d’alimentation et d’hydratation

artificielles sont réunies s’agissant d’un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu’en

soit l’origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale

le mettant hors d’état d’exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend de ce mode

d’alimentation et d’hydratation, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d’éléments,

médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend

des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation

dans sa singularité. Outre les éléments médicaux, qui doivent couvrir une période suffisamment

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10

longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l’état actuel du patient, sur

l’évolution de son état depuis la survenance de l’accident ou de la maladie, sur sa souffrance et

sur le pronostic clinique, le médecin doit accorder une importance toute particulière à la volonté

que le patient peut avoir, le cas échéant, antérieurement exprimée, quels qu’en soient la forme et

le sens. A cet égard, dans l’hypothèse où cette volonté demeurerait inconnue, elle ne peut être

présumée comme consistant en un refus du patient d’être maintenu en vie dans les conditions

présentes. Le médecin doit également prendre en compte les avis de la personne de confiance,

dans le cas où elle a été désignée par le patient, des membres de sa famille ou, à défaut,

de l’un de ses proches, en s’efforçant de dégager une position consensuelle. Il doit, dans

l’examen de la situation propre de son patient, être avant tout guidé par le souci de la plus grande

bienfaisance à son égard.

En ce qui concerne la procédure précédant l’édiction de la décision en litige :

16. Il ne résulte pas de l’instruction que la décision du 9 avril 2018 prise par le Dr O...

n’aurait, en tout état de cause, pas été prise en toute indépendance et impartialité, ni qu’il aurait

arrêté sa décision contre l’avis de l’équipe médicale chargée de M. P... K.généraux, et

n’apportent aucun élément probant, propre au cas spécifique de M. P...K, alors que les experts

relèvent, dans la réponse aux dires produits par les requérants et leurs médecins conseils lors de

la discussion contradictoire du pré-rapport d’expertise, qu’à la vue des examens précités a été

constaté l’existence de lésions d’une telle gravité, dont au demeurant les requérants admettent

l’importance, qu’ils permettaient à eux seuls, sans autres examens et sans qu’il soit besoin de

recourir à un nouvelle IRM fonctionnelle, de répondre aux termes de leur mission

En ce qui concerne la décision attaquée :

S’agissant de ses motifs :

17. Si dans les motifs de la décision en litige, le Dr O...évoque le fait que la situation de

son patient ne serait pas constitutive d’une obstination déraisonnable, cette affirmation qui a été

faite à l’occasion du rappel par ce praticien des conditions posées par la jurisprudence du Conseil

d’Etat en la matière n’est pas contradictoire avec le sens de la décision prise qui décide de l’arrêt

des soins.

S’agissant de la volonté de M. P...K... :

18. Il résulte de l’instruction que Mme H... K...et son mari, tous deux infirmiers, avaient

souvent évoqué leurs expériences professionnelles respectives auprès de patients en réanimation

ou de personnes polyhandicapées et qu’à ces occasions, M. P... K...avait clairement et à plusieurs

reprises exprimé la volonté de ne pas être maintenu artificiellement en vie dans l’hypothèse où il

se trouverait dans un état de grande dépendance. Certains des frères et soeurs de M. P...K...ont

indiqué que ces propos correspondaient à la personnalité, à l’histoire et aux opinions

personnelles de leur frère. C’est en raison de l’ouverture, en 2013, de la première procédure

d’arrêt des soins qu’il a été nécessaire de déterminer quel était le souhait de M. P...K...s’il devait

se trouver dans un état de grande dépendance et pour cela de recueillir le témoignage de sa

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femme. Par suite, le fait que ce témoignage intervienne plusieurs années après l’accident dont a

été victime M. P... K... ne permet pas de lui dénier sa valeur probante. Contrairement à ce que

soutiennent les requérants le contenu des entretiens que Mme H...K...a accordés à différents

organes de presse, postérieurement au témoignage précité ne permet pas d’identifier une

contradiction de nature à douter de la volonté, au sens de l’article L.1110-5-1 du code de la santé

publique, dans sa rédaction applicable au présent litige, de M. P...K...telle qu’elle est rapportée

par sa femme.

19. Le témoignage de Mme H...K...a été confirmé par l’un des frères de M. K.généraux,

et n’apportent aucun élément probant, propre au cas spécifique de M. P...K, alors que les experts

relèvent, dans la réponse aux dires produits par les requérants et leurs médecins conseils lors de

la discussion contradictoire du pré-rapport d’expertise, qu’à la vue des examens précités a été

constaté l’existence de lésions d’une telle gravité, dont au demeurant les requérants admettent

l’importance, qu’ils permettaient à eux seuls, sans autres examens et sans qu’il soit besoin de

recourir à un nouvelle IRM fonctionnelle, de répondre aux termes de leur mission Si l’attestation

de ce dernier n’a été produite que dans le cadre de la deuxième procédure d’arrêt des soins et

quelques jours après la suspension par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de la

première procédure, cette circonstance ne saurait lui ôter toute valeur probante. Au demeurant, la

sincérité de cette attestation saurait d’autant moins être mise en doute que son auteur, à

l’occasion de la procédure judiciaire relative à la tutelle de M. P... K..., s’est déclaré opposé à

l’arrêt des soins.

20. La circonstance que M. P...K...n’ait jamais informé certains de ses frères et soeurs de

sa volonté, ne permet pas d’établir qu’elle n’aurait pas été exprimée à d’autres interlocuteurs et

arrêtée dans le sens rapporté par Mme H...K.généraux, et n’apportent aucun élément probant,

propre au cas spécifique de M. P...K, alors que les experts relèvent, dans la réponse aux dires

produits par les requérants et leurs médecins conseils lors de la discussion contradictoire du prérapport

d’expertise, qu’à la vue des examens précités a été constaté l’existence de lésions d’une

telle gravité, dont au demeurant les requérants admettent l’importance, qu’ils permettaient à eux

seuls, sans autres examens et sans qu’il soit besoin de recourir à un nouvelle IRM fonctionnelle,

de répondre aux termes de leur mission Si M. P... K... s’est marié religieusement, a fait bénir sa

fille alors qu’elle était encore à naitre, avant de la faire baptiser à l’âge d’un mois, ces faits ne

sont pas de nature à remettre en cause sa volonté de ne pas être maintenu en vie s’il devait se

trouver dans un état de grande dépendance. La circonstance que M. P...K...ait, lors d’un premier

arrêt de l’alimentation et de l’hydratation, survécu pendant trente-et-un jours, ne saurait

permettre d’établir, comme les requérants le soutiennent, son refus de l’arrêt des soins.

21. Il résulte de ce qui précède que le Dr O..., en se fondant sur ces témoignages pour

indiquer, dans les motifs de la décision contestée, que le patient, dans des circonstances

différentes, avait exprimé un refus de vivre de façon diminuée ou en état de grande dépendance

et d’être maintenu artificiellement en vie, ne peut être regardé comme ayant procédé à

une appréciation inexacte de la volonté exprimée par M. P...K...avant son accident.

S’agissant de l’état de santé de M. P...K... :

Quant à la méthodologie retenue pas les experts :

22. Les experts se sont fondés, pour répondre à la mission qui leur était confiée, outre

un examen clinique du patient, sur les résultats des examens d’imagerie médicale subis par

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M. P... K...et notamment ceux d’une IRM, comportant des séquences anatomiques et

fonctionnelles, ainsi qu’une analyse tractographique, réalisés à l’occasion de l’expertise

ordonnée par le Conseil d’Etat en 2014, complétés par un examen en tomographie d’émission

de positons. L’existence de lésions encéphaliques bilatérales qui atteignent la plupart

des structures sous-corticales, les faisceaux associatifs, les noyaux gris centraux et le système

limbique de M. P...K..., objectivement constatée par ces examens, leur a permis de conclure que

ce dernier était dans un état d’incapacité fonctionnelle psychomotrice totale, insusceptible

d’évolution, si ce n’est dans un sens péjoratif. Les requérants critiquent la méthodologie de

l’expertise en relevant que sa prolongation sur un période de plusieurs semaines, au sein d’un

service consacré à la prise en charge de patients cérébro-lèsés, indépendant du CHU de Reims,

aurait été nécessaire, dès lors que ces patients sont sujets à des fluctuations de leur état de

conscience. Toutefois, s’ils se prévalent d’études, réalisées sur les patients cérébro-lésés,

notamment dans le but de distinguer les patients en état de conscience minimale de ceux en état

végétatif, ces documents et articles demeurent généraux, et n’apportent aucun élément probant,

propre au cas spécifique de M. P...K, alors que les experts relèvent, dans la réponse aux dires

produits par les requérants et leurs médecins conseils lors de la discussion contradictoire du prérapport

d’expertise, qu’à la vue des examens précités a été constaté l’existence de lésions d’une

telle gravité, dont au demeurant les requérants admettent l’importance, qu’ils permettaient à eux

seuls, sans autres examens et sans qu’il soit besoin de recourir à un nouvelle IRM fonctionnelle,

de répondre aux termes de leur mission. Si dans un courrier adressé au tribunal, ainsi que par une

tribune publiée dans la presse, des médecins, mais également d’autres professionnels, dont des

aides-soignantes et une secrétaire médicale, ont fait connaitre leur opposition à l’arrêt des soins

dont bénéficie M. P... K..., et ont contesté tant la méthodologie que les conclusions auxquelles

aboutissent les experts désignés par le tribunal, ces praticiens, en dehors des trois médecins

conseils des requérants, n’ont pas examiné M. P...K..., ni eu accès aux éléments sur lesquels se

sont fondés les experts judiciaires. Dans ces conditions, à défaut d’être précédée d’une

contestation scientifiquement étayée des constatations du rapport d’expertise relatives

au caractère irrémédiable et à l’ampleur des atteintes cérébrales dont est victime M. P... K...,

quand bien même auraient-elles été effectuées à l’issue d’une méthodologie que les requérants

contestent, les critiques exposées par ces derniers, ne sauraient utilement remettre en cause la

méthodologie retenue par les experts.

Quant à l’existence d’une évolution de l’état de santé de M. P...K... :

23. L’expertise réalisée en 2014 à la demande du Conseil d’Etat concluait, compte tenu

de leur nature et de la distance à l’accident dont avait été victime l’intéressé, au caractère

irréversible des lésions présentées par M. P...K.généraux, et n’apportent aucun élément probant,

propre au cas spécifique de M. P...K, alors que les experts relèvent, dans la réponse aux dires

produits par les requérants et leurs médecins conseils lors de la discussion contradictoire du prérapport

d’expertise, qu’à la vue des examens précités a été constaté l’existence de lésions d’une

telle gravité, dont au demeurant les requérants admettent l’importance, qu’ils permettaient à eux

seuls, sans autres examens et sans qu’il soit besoin de recourir à un nouvelle IRM fonctionnelle,

de répondre aux termes de leur mission Il résulte de l’instruction et notamment de l’expertise

ordonnée quatre ans plus tard, à l’occasion de la présente procédure, que M. P...K...est dans un

« état d’incapacité fonctionnelle psychomotrice totale comparable cliniquement à celui enregistré

en 2014 », encore les experts ont-ils constaté des éléments attestant de « minimes aggravations ».

Ils retiennent que M. P...K...n’est capable d’aucun mouvement volontaire et que notamment les

mouvements oculaires sont d’origine « reflexe ». Au demeurant, eu égard aux atteintes

cérébrales constatées, la circonstance que M. P...K...soit atteint de cécité n’est pas à exclure. Les

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experts considèrent également que les émissions vocales correspondent à des séquences

automatiques sous corticales. De même la déglutition est essentiellement « réflexe », parfois et

de manière intermittente « automatique » à partir d’une stimulation orale. La présence d’un

aidant familial ne modifiant pas cette donnée. Ils indiquent qu’en aucun cas la capacité de

déglutition de l’intéressé n’est compatible avec une alimentation et une hydratation

fonctionnelles. Enfin les experts relèvent, « qu’aucune amélioration neurologique n’est

scientifiquement envisageable à ce jour ». Les requérants qui soutiennent toutefois que la

capacité de déglutition de M. P... K... peut être améliorée, n’apportent aucun élément probant qui

serait de nature à remettre en cause ces appréciations. De même, eu égard au constat fait par les

experts de l’impotence fonctionnelle totale et irréversible de M. P...K..., qui comme il a été dit au

point 22 n’est pas utilement remis en cause par les requérants, il ne résulte pas de l’instruction

que l’admission de l’intéressé, à supposer obtenu l’accord de sa tutrice, dans un service

spécialisé dans les soins aux personnes en état végétatif chronique ou en état de conscience

minimale, pourrait aboutir à une amélioration de son état. Au demeurant, la période de dix ans

pendant laquelle M. P...K...a fait l’objet de soins dont les experts relèvent la qualité et d’un suivi

médical était suffisante pour constater l’existence d’une évolution, à la supposer même possible.

Or une telle évolution n’a pas été observée. Si, comme il a été dit au point précédent, des

médecins chargés du suivi de patients cérébro-lésés, se sont prononcés publiquement contre

l’arrêt des soins, c’est, selon les écritures mêmes des requérants, après le seul visionnage de

séquences vidéo par eux réalisées, montrant M. P...K...alité dans sa chambre d’hôpital.

L’appréciation ainsi portée par des praticiens se fondant sur ce seul élément, en dehors de toute

démarche scientifique, n’est pas, dans ces conditions, de nature à remettre en cause celle portée

par les experts. Enfin, si les diagnostics visant à déterminer si un patient se trouve dans un état

végétatif ou un état de conscience minimale seraient dans une large mesure erronés, la

qualification ainsi retenue de l’état d’un patient ne commande pas l’application des dispositions

précitées du code de la santé publique. Par suite, la question tenant aux difficultés de poser un

diagnostic fiable afin de déterminer si un patient ressortit à l’un ou l’autre de ces états est sans

incidence. Il suit de là, et dans les circonstances particulières propres à M. P...K..., que le DrO...,

par la décision en litige, a pu sans méconnaitre les dispositions précitées du code de la santé

publique, retenir que le maintien des soins et traitements qui sont prescrits à M. P...K..., dont

l’alimentation et l’hydratation font partie, n’a pour effet que le seul maintien artificiel de la vie

du patient.

24. Il résulte de tout ce qui précède, d’une part, que le maintien des soins et traitements

constitue une obstination déraisonnable au sens des textes précitées et d’autre part, que la volonté

de M. P...K...de ne pas être maintenu en vie dans l’hypothèse où il se trouverait dans l’état qui

est le sien depuis maintenant dix ans, est établie. Il suit de là que les conclusions de la requête

tendant à la suspension de la décision du 9 avril 2018 doivent, et sans qu’il soit besoin

d’ordonner une nouvelle expertise, être rejetées.

Sur les conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint au CHU de Reims de communiquer l’ensemble

des avis, observations, et comptes-rendus reçus ou utilisés dans le cadre de la quatrième

procédure collégiale :

25. En tout état de cause, et dès lors que la mesure d’expertise ordonnée prive

cette demande d’utilité, il n’y a pas lieu d’enjoindre au CHU de Reims de communiquer

les éléments précités.

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14

Sur les dépens :

26. Dans les circonstances particulières de l’espèce, il y a lieu de mettre les frais

de l’expertise ordonnée par le tribunal administratif, et liquidés, par trois ordonnances

du 18 décembre 2019 du président de ce tribunal, à la somme globale de 8 106,35 euros, à

la charge du centre hospitalier universitaire de Reims.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice

administrative :

27. Les dispositions de l’article L. 761.1 du code de justice administrative font obstacle

à ce que soit mis à la charge du CHU de Reims, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie

perdante, le versement de la somme que M. PierreK...et autres demandent au titre des frais

exposés par eux et non compris dans les dépens.

O R D O N N E

Article 1er : La requête de M. PierreK..., Mme Q...K..., M. B...V...et Mme A...K...épouse I...est

rejetée.

Article 2 : Les frais d’expertise, liquidés et taxés à la somme globale de 8 106, 35 euros, sont mis

à la charge du centre hospitalier universitaire de Reims.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. PierreK..., au centre hospitalier

universitaire de Reims, à Mme H...F...épouseK..., à M. S...K..., à l’UDAF de la Marne.

Copie en sera adressée à l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et

de cérébro-lésés.

Fait à Châlons-en-Champagne, le 31 janvier 2019.

Le juge des référés,

Président de la formation de jugement.

Signé

OlivierC...TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE CHÂLONS-EN-CHAMPAGNE

N°1800820

___________

M. Pierre K...et autres

___________

M. Olivier Nizet

M. Antoine Durup de Baleine

M. Antoine Deschamps

Juges des référés

___________

Audience du 21 janvier 2019

Lecture du 31 janvier 2019

__________

54-035-03

61-05

C+

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le tribunal administratif

de Châlons-en-Champagne

Le vice-président du tribunal administratif et

les juges des référés, statuant dans les conditions

prévues au dernier alinéa de l’article L. 511-2

du code de justice administrative

Vu la procédure suivante :

Par des ordonnances du 20 avril 2018 et du 2 juillet 2018, le juge des référés, saisi en

application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative et statuant dans

les conditions prévues au dernier alinéa de l’article L. 511-2 du même code, a décidé, avant

de se prononcer sur les conclusions présentées par M. Pierre K..., Mme Q...K..., M. B...V...et

Mme A...K...épouse I...tendant notamment à la suspension de la décision du 9 avril 2018 par

laquelle le DrO..., chef de l’unité de patients cérébro-lésés du centre hospitalier universitaire

de Reims (CHU), a décidé d’arrêter la nutrition et l’hydratation artificielles dont bénéficie M.

P...K...et d’assortir l’arrêt de ce traitement d’une sédation profonde et continue, d’ordonner une

expertise portant sur l’état de santé actuel de M. P . . . K..., de dire si cet état de santé marque,

par rapport à celui évalué en 2014, une évolution et dans l’affirmative, la décrire et de se

prononcer sur la capacité de déglutition de M. P...K...en indiquant si elle est susceptible

de permettre, à terme, et éventuellement après une rééducation, une alimentation et

une hydratation fonctionnelles.

Le rapport d’expertise a été déposé au greffe du tribunal le 19 novembre 2018.

Par un mémoire en intervention, après expertise, enregistré le 17 janvier 2019, l’Union

nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés, représentée par

la SCP Piwnica et Molinié, conclut aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures par

les mêmes moyens.

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2

Elle ajoute en outre que :

- il résulte de l’expertise que la situation de M. P...K...ne justifie pas une interruption de

l’alimentation et de l’hydratation artificielles dont il bénéficie et que les traitements prodigués ne

relèvent pas de l’obstination déraisonnable ;

- la volonté de M. P...K...quant à un éventuel arrêt des soins n’est pas établie ;

- dans ces circonstances, l’interruption de l’alimentation et de l’hydratation de M. P...

K..., ne satisfait pas aux conditions posées par la loi.

Par un mémoire en défense, après expertise, enregistré le 18 janvier 2019, le centre

hospitalier universitaire de Reims, représenté par Me Pierre Desmarais, conclut aux mêmes fins

que dans ses précédentes écritures, par les mêmes moyens.

Il ajoute en outre que :

- l’expertise confirme que l’obstination déraisonnable est établie par le caractère

incurable des lésions du patient, une altération de son état de santé général, l’irréversibilité

de l’état végétatif dans lequel il se trouve, l’absence de toute autonomie physique ou

relationnelle et sa dépendance à l’alimentation et à l’hydratation artificielles ;

- le sens de la volonté du patient – ne pas subir des soins relevant de l’obstination

déraisonnable - a été admise par le Conseil d’Etat dès 2014 ;

- la majorité des avis recueillis par le Dr O...confirment la volonté de ne pas subir des

soins relevant de l’obstination déraisonnable.

Par un mémoire en défense, après expertise, enregistré le 18 janvier 2019, M. S... K...,

représenté par Me GérardChemla, conclut aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures,

par les mêmes moyens.

Il ajoute en outre que :

- tant les conditions de forme que les conditions de fond posées par les articles

L. 1110-5, L. 11105-5-1 et R. 4127-37-2 du code de la santé publique ont été respectées à

l’occasion de l’édiction de la décision en litige ;

- il y a obstination déraisonnable à maintenir M. P...K...en vie ;

- l’expertise confirme l’impossibilité pour le patient de retrouver une déglutition

fonctionnelle et relève qu’il est dans une situation d’incapacité fonctionnelle psycho-motrice

totale, comparable à celle enregistrée en 2014, sous réserve de minines aggravations ;

qu’il se trouve dans un état végétatif chronique.

Par un mémoire, après expertise, enregistré le 20 janvier 2019, M. PierreK...,

Mme Q...K..., M. B...V...et Mme A...K...épouse I...concluent aux mêmes fins que dans leur

requête par les mêmes moyens et demandent en outre, le renvoi de l’affaire, que soit prononcée

la nullité de l’expertise et qu’une contre-expertise soit ordonnée.

Ils ajoutent en outre que :

- l’affaire ne peut être jugée par le tribunal avant que le recours en cassation relatif à

l’instance introduite pour cause de suspicion légitime, pendant devant le Conseil d’Etat, ne soit

jugé ;

- les opérations d’expertise se sont déroulées en méconnaissance du principe

du contradictoire ;

- les experts n’étaient pas les maîtres de l’expertise ;

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3

- les experts n’ont pas répondu aux dires qui ont été produits et n’ont pas tenu compte

des éléments contenus dans ces productions ;

- la méthode d’évaluation retenue par les experts n’est pas conforme aux règles de l’art ;

- les experts n’ont pas entendu M. V...et Mme I...en dépit de la demande de ces

derniers ;

- la condition posée par les articles L. 1110-5 et suivants du code de la santé publique,

tenant à l’existence d’une obstination déraisonnable n’est pas remplie ;

- la volonté de M. P...K...n’est pas connue ;

- le Dr O...s’est abstenu de rechercher un consensus ;

- l’équipe médicale du CHU de Reims n’était pas majoritairement favorable à l’arrêt

des soins ;

- le DrO..., dans la décision en litige, retient que la poursuite des soins ne constitue pas

une obstination déraisonnable.

Vu :

- le rapport de l’expert enregistré le 19 novembre 2018 au greffe du tribunal ;

- l’ordonnance du 18 décembre 2019 par laquelle le président du tribunal administratif a

taxé les frais et honoraires de l’expertise confiée au professeur W à la somme de 3 480 euros et a

mis provisoirement ces frais et honoraires à la charge du CHU de Reims ;

- l’ordonnance du 18 décembre 2019 par laquelle le président du tribunal administratif a

taxé les frais et honoraires de l’expertise confiée au professeur Y à la somme de 1 920 euros et a

mis provisoirement ces frais et honoraires à la charge du CHU de Reims ;

- l’ordonnance du 18 décembre 2019 par laquelle le président du tribunal administratif a

taxé les frais et honoraires de l’expertise confiée aux professeurs X... à la somme de 2 706,35

euros et a mis provisoirement ces frais et honoraires à la charge du CHU de Reims ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017 ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a décidé que la nature de l’affaire justifiait qu’elle soit jugée, en

application du dernier alinéa de l’article L. 511-2 du code de justice administrative, par

une formation composée de trois juges des référés et a désigné M. Nizetet M.Durup de Baleine,

présidents et M. Deschamps, premier conseiller, pour statuer sur la demande de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 21 janvier 2019 à 14 heures 30 :

- le rapport de M.Nizet,

- les observations de Me Triompheet de Me Paillotreprésentant M. PierreK...et autres,

qui soutiennent que :

- les exigences du droit au recours effectif et d’un procès équitable font

obstacle à ce que le tribunal puisse statuer avant que le Conseil d’Etat se soit prononcé

N°1800820

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sur le pourvoi dont il a été saisi contre l’arrêt de la cour administrative d’appel

de Nancy du 16 janvier 2019 ; en conséquence, l’affaire doit être renvoyée ;

- ont été demandées l’invalidation partielle de l’expertise et la prescription

d’une contre-expertise mais la teneur du mémoire présenté par le tribunal devant la cour

administrative d’appel de Nancy fait obstacle à ce que le tribunal puisse se prononcer

sur ces demandes en présentant les apparences et garanties d’impartialité nécessaires ;

- les experts ont méconnu le contradictoire et une expertise dans les règles

de l’art implique de la confier à des spécialistes de la prise en charge des patients en état

végétatif chronique ou pauci-relationnel, ce que ne sont pas les trois experts désignés

par le tribunal ;

- ces derniers ont tronqué des pièces essentielles à l’examen de l’état actuel

de M. P... K... et conclu à tort à l’absence d’éléments non significatifs

d’un état pauci-relationnel, alors que les vidéos pourtant visionnés par les experts

prouvent qu’il demeure dans un tel état et qu’il existe une possibilité d’amélioration

de cet état ; en outre, des vidéos réalisés en 2018 montrent qu’il réagit à l’appel

de son nom par sa mère ou d’autres personnes proches et, le 18 juillet 2018, il a vocalisé

en réaction aux propos de sa mère évoquant un déplacement familial durant été ;

- l’évaluation par le professeur Naccache en octobre 2017, ponctuelle, ciblée

dans le temps à un seul moment donné, n’est pas significative ;

- le rapport d’expertise ne répond pas à la question déterminante

de la fluctuation de l’état des patients en état végétatif chronique ou pauci-relationnel et

les experts ont négligé de faire réaliser un nouvel examen par IRM ;

- les règles de l’art imposaient la réitération d’une évaluation de l’état

de conscience de type CRS-R au moins 5 fois sur une période d’au moins 10 jours,

ce dont se sont abstenus les trois experts ;

- les résultats de l’examen par IRM de 2014 ne sont pas suffisamment

significatifs, dès lors que la neuro-imagerie ne vient qu’en troisième lieu dans

les techniques d’évaluation de l’état fluctuant des patients en état végétatif chronique ou

pauci-relationnel ;

- l’absence de manifestation de la conscience ne saurait permettre d’en

conclure au défaut de conscience et le livre blanc de 2018 montre que les personnes que

l’on croit en état végétatif ne le sont peut-être pas ;

- l’évaluation de l’état actuel de conscience de M. P...K...est impossible dans le

contexte d’enfermement du centre hospitalier universitaire de Reims et une évaluation

itérative de cet état dans un lieu neutre est indispensable ;

- les lettres des 20 et 21 janvier 2019, signées par des dizaines de médecins et

soignants, dont nombre de spécialistes de la prise en charge des patients en EVC/EPR,

infirment tant la méthode que les conclusions du rapport d’expertise ;

- en définitive, le rapport d’expertise, établi au mépris des règles de l’art, est

sans valeur médicale et scientifique ;

- l’APHP vient d’ouvrir une unité dédiée à l’accueil de patients en EVC/EPR et

est à même d’assurer une prise en charge optimale de M. P...K..., alors que ce dernier

n’est accueilli à Reims que par un service de soins palliatifs dirigé par un gériâtre ;

- quant aux capacités de déglutition de M. P...K..., il existe une possibilité

de rééducation à la déglutition, il est capable d’une déglutition réflexe mais aussi,

comme il a été prouvé les 7 et 8 septembre 2018, de déglutir sa salive, ce qui témoigne

d’une possibilité d’amélioration de son état. La plupart du temps, les patients en

EVC/EPR sont alimentés pour partie par la bouche et pour partie par gastrostomie et il

est faux de conclure que, dans le cas de M. P...K..., une alimentation « plaisir » ne soit

plus possible, alors qu’il n’a pas été réalisé un protocole de déglutition et que peut être

envisagée une réhabilitation de l’alimentation orale ; le professeur X... a constaté une

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vocalisation au moment de son examen mais sans indiquer la réponse qu’elle en tire, les

experts écartant sans raison ni explication les éléments ne militant pas dans le sens de

leurs conclusions ;

- une obstination déraisonnable au sens de l’article L. 1110-5-1 du code

de la santé publique comme de la jurisprudence n’est pas établie et les experts

le constatent d’ailleurs eux-mêmes ; il n’y a pas d’acharnement thérapeutique car M. P...

K...ne souffre pas d’un syndrome douloureux, d’une souffrance habituelle et réfractaire

justifiant une analgésie ou une sédation profonde et l’infection urinaire a pu être traitée

et jugulée en 2018 ; une obstination déraisonnable ne pourrait dès lors être qualifiée

qu’en présence d’une comorbidité, liée à une infection urinaire récurrente, ou

pulmonaire avec respiration artificielle, ou encore un cancer impliquant un autre

traitement qu’une alimentation et une hydratation artificielles, ce qui supposerait donc

une autre affection que l’état EVC/EPR lui-même ;

- la volonté de M. P...K...reste inconnue ; au mieux peut être évoquée

une volonté supposée et présumée, mais non prouvée, alors en outre que la prise en

considération de la volonté n’est pas en elle-même un critère légal de l’obstination

déraisonnable ; la volonté ne pourrait être supplétive de l’absence d’une telle

obstination qu’en présence d’un patient conscient mais non pour un patient inconscient,

à l’égard duquel l’obstination déraisonnable ne pourrait alors être reconnue qu’en

présence d’une situation de comorbidité ;

- la seule solution envisageable est un transfert de M. P...K...dans

une autre unité spécialisée dans la prise en charge des patients en EVC/EPR.

- les observations de MeR..., représentant l’Union nationale des associations de familles

de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés qui soutient que :

- la situation de M. P...K...ne caractérise pas une obstination déraisonnable et

l’alimentation et l’hydratation artificielles dont il bénéficie, sinon contribuent à

améliorer son état, du moins permettent d’en prévenir une aggravation et, dès lors, sont

d’une utilité avérée ;

- la volonté du patient ne saurait être supplétive de l’absence des conditions

légales de caractérisation de l’obstination déraisonnable, sauf pour le médecin et le juge

à se livrer à une appréciation subjective ne relevant pas de leurs offices ;

- admettre le contraire serait nier l’accompagnement éthique qu’appellent

les patients en état EVC/EPR ;

- les motifs de la décision en litige qui précise que l’état de M. P... K... ne

répond pas à une « obstination déraisonnable, sont en contradiction avec son dispositif

qui retient l’arrêt des soins ;

- les observations de MeU..., représentant le centre hospitalier universitaire de Reims,

qui soutient que :

- M. P...K...bénéficie d’une prise en charge optimale eu égard à son état

de santé ;

- l’évolution de cet état de santé témoigne d’une minime aggravation ;

- la situation de l’espèce caractérise une obstination déraisonnable et la volonté

du patient est de cesser le traitement dont il fait actuellement l’objet ;

- les observations de MeL..., représentant Mme H...K..., qui soutient que :

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- il ne saurait être fait abstraction des motifs de l’ordonnance avant dire droit

du 20 avril 2018 ;

- aucune amélioration de l’état de M. P...K...ne peut être attendue et il présente

des traces de foyers pulmonaires cicatriciels liées à des fausses routes antérieures

résultant de tentatives d’alimentation irrégulières et clandestines ;

- les critères de caractérisation d’une obstination déraisonnable sont remplis et

le traitement actuel a pour seul effet le maintien artificiel de la vie ;

- les observations de MeD..., représentant de M. S...K..., qui soutient que :

- les requérants s’emploient à déployer une stratégie de rupture à laquelle

la juridiction ne doit pas prêter le flanc ;

- l’appréciation de la qualité de vie du patient en état EVC/EPR appartient

au patient lui-même et non à son entourage ;

- le râle de Vincent K...n’est pas contributif, la déglutition n’est que réflexe et il

n’y a aucun espoir de reprise de l’alimentation autre que par gastrostomie, ni d’espoir

d’une amélioration de l’état de M. P...K... ;

- sur la question de la qualification ou non d’une obstination déraisonnable,

les experts ont répondu à une question qui ne leur était pas posée, alors que

cette question a déjà été tranchée ;

- le tribunal n’a pas d’autre office que d’appliquer la loi.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience à 16h22.

Considérant ce qui suit :

1. M. PierreK..., Mme Q...K..., M. B...V...et Mme A... K... épouse I...ont saisi le

tribunal, sur la fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, aux fins

d’obtenir, d’une part, la suspension de la décision du 9 avril 2018 par laquelle le DrO..., chef de

l’unité de patients cérébro-lésés du centre hospitalier universitaire de Reims (CHU), a décidé

d’arrêter la nutrition et l’hydratation artificielles dont bénéficie M. P... K...et d’assortir l’arrêt de

ce traitement d’une sédation profonde et continue, et, d’autre part, que soit ordonné le transfert

de M. P... K... dans un autre établissement de soins ou pour le moins dans le service de médecine

physique et de réadaptation du CHU de Reims. Par une ordonnance du 20 avril 2018, modifiée

par une ordonnance du 2 juillet 2018, le juge des référés, statuant dans les conditions prévues

au dernier alinéa de l’article L. 511-2 du code de justice administrative, après avoir admis

l’intervention de l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de

cérébro-lésés, a écarté l’exception de chose jugée et les fins de non recevoir opposées en défense

et a retenu que la condition d’urgence prévue par les dispositions précitées était remplie. Statuant

sur l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, il a

ordonné une expertise afin de déterminer l’existence d’une évolution de l’état de santé de M.

P...K...et de ses capacités de déglutition, a réservé la question du sens de la volonté du patient et

a écarté l’ensemble des autres moyens et conclusions invoqués par les requérants. Les experts

ont rendu leur rapport le 19 novembre 2018.

Sur l’office du juge des référés statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice

administrative :

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2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi

d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner

toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne

morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public

aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale.

Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. » .

3. En vertu de cet article, le juge administratif des référés, saisi d’une demande en

ce sens justifiée par une urgence particulière, peut ordonner toutes mesures nécessaires à

la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté

une atteinte grave et manifestement illégale. Ces dispositions législatives confèrent au juge

des référés, qui statue, en vertu de l’article L. 511-1 du code de justice administrative, par

des mesures qui présentent un caractère provisoire, le pouvoir de prendre, dans les délais

les plus brefs et au regard de critères d’évidence, les mesures de sauvegarde nécessaires à

la protection des libertés fondamentales.

4. Toutefois, il appartient au juge des référés d’exercer ses pouvoirs de manière

particulière, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice

administrative d’une décision, prise par un médecin sur le fondement du code de la santé

publique, et conduisant à interrompre ou à ne pas entreprendre un traitement au motif que

ce dernier traduirait une obstination déraisonnable, dans la mesure où l’exécution

de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie. Il doit alors, le cas échéant

en formation collégiale, prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour faire obstacle à

son exécution lorsque cette décision pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, en

procédant à la conciliation des libertés fondamentales en cause, que sont le droit au respect

de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir

un traitement qui serait le résultat d’une obstination déraisonnable.

Sur la régularité de l’expertise :

5. Le collège de trois experts désigné par ordonnance du 3 juillet 2018 du président

du tribunal était composé d’un professeur des universités-praticien hospitalier, disposant

de la double spécialisation de neurologue et de neurochirurgien, d’un professeur

des universités-praticien hospitalier, spécialisé en neurochirurgie et d’un professeur

des universités-praticien hospitalier, spécialisé en otorhinolaryngologie. Ne figure pas dans

la liste des spécialités médicales déterminées par le conseil national de l’ordre des médecins

de spécialité relative aux soins des patients en état végétatif ou de conscience minimale.

La circonstance qu’aucun médecin ayant exercé dans un service assurant la prise en charge

de ces patients n’ait été retenu pour faire partie du collège d’experts, alors que les trois experts

désignés n’auraient, selon les requérants, pas eu une expérience spécifique de la prise en charge

de tels patients, est insuffisante pour établir qu’ils n’auraient pas disposé, eu égard à

leurs fonctions et spécialités, des compétences nécessaires et appropriées à l’exécution

de leur mission.

6. Deux membres du collège d’experts ont, dès le 7 septembre 2018, à l’hôpital

Sébastopol, établissement dépendant du centre hospitalier universitaire de Reims, examiné

une première fois M. P...K..., en dehors de la présence des parties. Toutefois les constatations

faites à l’occasion de ce premier examen, et les conclusions qui en ont été tirées par les experts,

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ont été soumises aux parties qui ont pu les discuter dès le 8 septembre 2018, puis en adressant

aux experts leurs observations sur le pré-rapport d’expertise établi le 22 octobre 2018.

7. Les parties ont eu accès au dossier médical de M. P...K... et notamment aux résultats

d’une imagerie par résonance magnétique (IRM) réalisée en 2014 qui a permis au collège

d’experts d’identifier et quantifier les lésions dont il est victime. Si les requérants font valoir que

le temps qui a été laissé à leurs médecins conseils pour consulter ce dossier était insuffisant, il ne

résulte pas de l’instruction que le rapport d’expertise serait fondé sur un élément dont ils

n’auraient pas eu connaissance et qui était de nature à avoir une influence sur la réponse faite par

les experts aux questions qui leur étaient posées.

8. D’une part, il ressort des termes mêmes du rapport d’expertise que les experts ont

examiné les pièces fournies par les requérants et notamment l’ensemble des enregistrements

vidéo montrant M. P...K... et, au demeurant, ont précisé quel était leur avis sur la valeur de telles

images. Si les requérants soutiennent qu’un « dire n° 4 » du 27 septembre 2018, n’aurait pas été

visé, le document auquel il est fait référence constitue une simple invitation aux experts à

télécharger sur internet des vidéos présentées comme ayant été réalisées le 24 mai 2018 et

n’avait dès lors pas à être visé en tant que dire. Au demeurant, il résulte de l’instruction que les

experts ont téléchargé et examiné les pièces ainsi mises à leur disposition. Les requérants ne

sont, par suite, pas fondés à soutenir que les experts auraient tronqué des pièces essentielles à

l’examen de l’état actuel de VincentK.généraux, et n’apportent aucun élément probant, propre au

cas spécifique de M. P...K, alors que les experts relèvent, dans la réponse aux dires produits par

les requérants et leurs médecins conseils lors de la discussion contradictoire du pré-rapport

d’expertise, qu’à la vue des examens précités a été constaté l’existence de lésions d’une telle

gravité, dont au demeurant les requérants admettent l’importance, qu’ils permettaient à eux seuls,

sans autres examens et sans qu’il soit besoin de recourir à un nouvelle IRM fonctionnelle, de

répondre aux termes de leur mission D’autre part, les experts qui n’étaient pas tenus de répondre

à tous les arguments des parties, ont pris connaissance des dires qui leur ont été adressés, les ont

annexés à leur rapport et au demeurant y ont répondu.

9. Il résulte de l’instruction que Mme I...et M. V...qui, sans faire état d’une objection

légitime, n’étaient pas présents au jour de l’expertise qui s’est tenue le 8 septembre 2018, y

avaient été convoqués, comme l’ensemble des parties à l’instance. L’article 4 de l’ordonnance du

20 avril 2018 qui prévoit que : « Les experts devront rencontrer l’équipe médicale, le personnel

soignant chargé de M. P...K..., ainsi que l’ensemble des parties qui le souhaitent. (…) »,

n’imposait pas aux experts de recevoir, en dehors de la réunion d’expertise du 8 septembre 2018,

Mme I...et M.V.généraux, et n’apportent aucun élément probant, propre au cas spécifique de M.

P...K, alors que les experts relèvent, dans la réponse aux dires produits par les requérants et leurs

médecins conseils lors de la discussion contradictoire du pré-rapport d’expertise, qu’à la vue des

examens précités a été constaté l’existence de lésions d’une telle gravité, dont au demeurant les

requérants admettent l’importance, qu’ils permettaient à eux seuls, sans autres examens et sans

qu’il soit besoin de recourir à un nouvelle IRM fonctionnelle, de répondre aux termes de leur

mission Si ces derniers ont présenté des demandes en ce sens, le fait que les experts n’y ont pas

donné suite, ne vicie pas, dans ces circonstances, la régularité de l’expertise. En outre, d’une

part, il leur était loisible, d’adresser, par écrit, au collège d’experts tout élément qu’ils

souhaitaient porter à sa connaissance, ce qu’ils se sont abstenus de faire et d’autre part, ils étaient

représentés lors de l’expertise par leurs avocats assistés de trois médecins conseils.

10. Aucune disposition légale ou réglementaire n’interdit au magistrat ayant désigné

un expert d’assister aux opérations d’expertise. D’une part, la présence du président du tribunal

administratif de Châlons-en-Champagne, le 8 septembre 2018, lors de l’expertise, ne saurait en

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elle-même être de nature à vicier ladite expertise. D’autre part, il ne résulte pas de l’instruction,

et notamment du rappel des conditions dans lesquelles s’est déroulée l’expertise, tel qu’il figure

dans le rapport, que sa présence aurait fait obstacle à son bon déroulement, comme les requérants

l’allèguent et que les experts n’auraient pas eu la maitrise des opérations d’expertise.

11. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que

la procédure d’expertise serait entachée d’irrégularité.

Sur les dispositions législatives applicables résultant notamment de la loi du 2 février 2016 :

12. Aux termes de l’article L. 1110-5 du code de la santé publique : « Toute personne a,

compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit

de recevoir, (…) les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier

des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité

sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances

médicales avérées. (…) ». Aux termes de l’article L. 1110-5-1 du même code : « Les actes

mentionnés à l'article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en oeuvre ou poursuivis lorsqu'ils

résultent d'une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou

lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou

ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état

d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire. / La

nutrition et l'hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés

conformément au premier alinéa du présent article. (…) ».

13. Aux termes de l’article R. 4127-37-2 du code de la santé publique : « I. –

La décision de limitation ou d'arrêt de traitement respecte la volonté du patient antérieurement

exprimée dans des directives anticipées. Lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté,

la décision de limiter ou d'arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d'une obstination

déraisonnable, ne peut être prise qu'à l'issue de la procédure collégiale prévue à l'article

L. 1110-5-1 et dans le respect des directives anticipées et, en leur absence, après qu'a été

recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l'un

des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient. (…) ».

14. Si, aux termes de la loi, l’alimentation et l’hydratation artificielles sont au nombre

des traitements susceptibles d’être arrêtés lorsque leur poursuite traduirait une obstination

déraisonnable, la seule circonstance qu’une personne soit dans un état irréversible

d’inconscience ou, à plus forte raison, de perte d’autonomie la rendant tributaire d’un tel mode

d’alimentation et d’hydratation ne saurait caractériser, par elle-même, une situation dans laquelle

la poursuite de ce traitement apparaîtrait injustifiée au nom du refus de l’obstination

déraisonnable.

15. Pour apprécier si les conditions d’un arrêt d’alimentation et d’hydratation

artificielles sont réunies s’agissant d’un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu’en

soit l’origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale

le mettant hors d’état d’exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend de ce mode

d’alimentation et d’hydratation, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d’éléments,

médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend

des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation

dans sa singularité. Outre les éléments médicaux, qui doivent couvrir une période suffisamment

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10

longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l’état actuel du patient, sur

l’évolution de son état depuis la survenance de l’accident ou de la maladie, sur sa souffrance et

sur le pronostic clinique, le médecin doit accorder une importance toute particulière à la volonté

que le patient peut avoir, le cas échéant, antérieurement exprimée, quels qu’en soient la forme et

le sens. A cet égard, dans l’hypothèse où cette volonté demeurerait inconnue, elle ne peut être

présumée comme consistant en un refus du patient d’être maintenu en vie dans les conditions

présentes. Le médecin doit également prendre en compte les avis de la personne de confiance,

dans le cas où elle a été désignée par le patient, des membres de sa famille ou, à défaut,

de l’un de ses proches, en s’efforçant de dégager une position consensuelle. Il doit, dans

l’examen de la situation propre de son patient, être avant tout guidé par le souci de la plus grande

bienfaisance à son égard.

En ce qui concerne la procédure précédant l’édiction de la décision en litige :

16. Il ne résulte pas de l’instruction que la décision du 9 avril 2018 prise par le Dr O...

n’aurait, en tout état de cause, pas été prise en toute indépendance et impartialité, ni qu’il aurait

arrêté sa décision contre l’avis de l’équipe médicale chargée de M. P... K.généraux, et

n’apportent aucun élément probant, propre au cas spécifique de M. P...K, alors que les experts

relèvent, dans la réponse aux dires produits par les requérants et leurs médecins conseils lors de

la discussion contradictoire du pré-rapport d’expertise, qu’à la vue des examens précités a été

constaté l’existence de lésions d’une telle gravité, dont au demeurant les requérants admettent

l’importance, qu’ils permettaient à eux seuls, sans autres examens et sans qu’il soit besoin de

recourir à un nouvelle IRM fonctionnelle, de répondre aux termes de leur mission

En ce qui concerne la décision attaquée :

S’agissant de ses motifs :

17. Si dans les motifs de la décision en litige, le Dr O...évoque le fait que la situation de

son patient ne serait pas constitutive d’une obstination déraisonnable, cette affirmation qui a été

faite à l’occasion du rappel par ce praticien des conditions posées par la jurisprudence du Conseil

d’Etat en la matière n’est pas contradictoire avec le sens de la décision prise qui décide de l’arrêt

des soins.

S’agissant de la volonté de M. P...K... :

18. Il résulte de l’instruction que Mme H... K...et son mari, tous deux infirmiers, avaient

souvent évoqué leurs expériences professionnelles respectives auprès de patients en réanimation

ou de personnes polyhandicapées et qu’à ces occasions, M. P... K...avait clairement et à plusieurs

reprises exprimé la volonté de ne pas être maintenu artificiellement en vie dans l’hypothèse où il

se trouverait dans un état de grande dépendance. Certains des frères et soeurs de M. P...K...ont

indiqué que ces propos correspondaient à la personnalité, à l’histoire et aux opinions

personnelles de leur frère. C’est en raison de l’ouverture, en 2013, de la première procédure

d’arrêt des soins qu’il a été nécessaire de déterminer quel était le souhait de M. P...K...s’il devait

se trouver dans un état de grande dépendance et pour cela de recueillir le témoignage de sa

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11

femme. Par suite, le fait que ce témoignage intervienne plusieurs années après l’accident dont a

été victime M. P... K... ne permet pas de lui dénier sa valeur probante. Contrairement à ce que

soutiennent les requérants le contenu des entretiens que Mme H...K...a accordés à différents

organes de presse, postérieurement au témoignage précité ne permet pas d’identifier une

contradiction de nature à douter de la volonté, au sens de l’article L.1110-5-1 du code de la santé

publique, dans sa rédaction applicable au présent litige, de M. P...K...telle qu’elle est rapportée

par sa femme.

19. Le témoignage de Mme H...K...a été confirmé par l’un des frères de M. K.généraux,

et n’apportent aucun élément probant, propre au cas spécifique de M. P...K, alors que les experts

relèvent, dans la réponse aux dires produits par les requérants et leurs médecins conseils lors de

la discussion contradictoire du pré-rapport d’expertise, qu’à la vue des examens précités a été

constaté l’existence de lésions d’une telle gravité, dont au demeurant les requérants admettent

l’importance, qu’ils permettaient à eux seuls, sans autres examens et sans qu’il soit besoin de

recourir à un nouvelle IRM fonctionnelle, de répondre aux termes de leur mission Si l’attestation

de ce dernier n’a été produite que dans le cadre de la deuxième procédure d’arrêt des soins et

quelques jours après la suspension par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de la

première procédure, cette circonstance ne saurait lui ôter toute valeur probante. Au demeurant, la

sincérité de cette attestation saurait d’autant moins être mise en doute que son auteur, à

l’occasion de la procédure judiciaire relative à la tutelle de M. P... K..., s’est déclaré opposé à

l’arrêt des soins.

20. La circonstance que M. P...K...n’ait jamais informé certains de ses frères et soeurs de

sa volonté, ne permet pas d’établir qu’elle n’aurait pas été exprimée à d’autres interlocuteurs et

arrêtée dans le sens rapporté par Mme H...K.généraux, et n’apportent aucun élément probant,

propre au cas spécifique de M. P...K, alors que les experts relèvent, dans la réponse aux dires

produits par les requérants et leurs médecins conseils lors de la discussion contradictoire du prérapport

d’expertise, qu’à la vue des examens précités a été constaté l’existence de lésions d’une

telle gravité, dont au demeurant les requérants admettent l’importance, qu’ils permettaient à eux

seuls, sans autres examens et sans qu’il soit besoin de recourir à un nouvelle IRM fonctionnelle,

de répondre aux termes de leur mission Si M. P... K... s’est marié religieusement, a fait bénir sa

fille alors qu’elle était encore à naitre, avant de la faire baptiser à l’âge d’un mois, ces faits ne

sont pas de nature à remettre en cause sa volonté de ne pas être maintenu en vie s’il devait se

trouver dans un état de grande dépendance. La circonstance que M. P...K...ait, lors d’un premier

arrêt de l’alimentation et de l’hydratation, survécu pendant trente-et-un jours, ne saurait

permettre d’établir, comme les requérants le soutiennent, son refus de l’arrêt des soins.

21. Il résulte de ce qui précède que le Dr O..., en se fondant sur ces témoignages pour

indiquer, dans les motifs de la décision contestée, que le patient, dans des circonstances

différentes, avait exprimé un refus de vivre de façon diminuée ou en état de grande dépendance

et d’être maintenu artificiellement en vie, ne peut être regardé comme ayant procédé à

une appréciation inexacte de la volonté exprimée par M. P...K...avant son accident.

S’agissant de l’état de santé de M. P...K... :

Quant à la méthodologie retenue pas les experts :

22. Les experts se sont fondés, pour répondre à la mission qui leur était confiée, outre

un examen clinique du patient, sur les résultats des examens d’imagerie médicale subis par

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M. P... K...et notamment ceux d’une IRM, comportant des séquences anatomiques et

fonctionnelles, ainsi qu’une analyse tractographique, réalisés à l’occasion de l’expertise

ordonnée par le Conseil d’Etat en 2014, complétés par un examen en tomographie d’émission

de positons. L’existence de lésions encéphaliques bilatérales qui atteignent la plupart

des structures sous-corticales, les faisceaux associatifs, les noyaux gris centraux et le système

limbique de M. P...K..., objectivement constatée par ces examens, leur a permis de conclure que

ce dernier était dans un état d’incapacité fonctionnelle psychomotrice totale, insusceptible

d’évolution, si ce n’est dans un sens péjoratif. Les requérants critiquent la méthodologie de

l’expertise en relevant que sa prolongation sur un période de plusieurs semaines, au sein d’un

service consacré à la prise en charge de patients cérébro-lèsés, indépendant du CHU de Reims,

aurait été nécessaire, dès lors que ces patients sont sujets à des fluctuations de leur état de

conscience. Toutefois, s’ils se prévalent d’études, réalisées sur les patients cérébro-lésés,

notamment dans le but de distinguer les patients en état de conscience minimale de ceux en état

végétatif, ces documents et articles demeurent généraux, et n’apportent aucun élément probant,

propre au cas spécifique de M. P...K, alors que les experts relèvent, dans la réponse aux dires

produits par les requérants et leurs médecins conseils lors de la discussion contradictoire du prérapport

d’expertise, qu’à la vue des examens précités a été constaté l’existence de lésions d’une

telle gravité, dont au demeurant les requérants admettent l’importance, qu’ils permettaient à eux

seuls, sans autres examens et sans qu’il soit besoin de recourir à un nouvelle IRM fonctionnelle,

de répondre aux termes de leur mission. Si dans un courrier adressé au tribunal, ainsi que par une

tribune publiée dans la presse, des médecins, mais également d’autres professionnels, dont des

aides-soignantes et une secrétaire médicale, ont fait connaitre leur opposition à l’arrêt des soins

dont bénéficie M. P... K..., et ont contesté tant la méthodologie que les conclusions auxquelles

aboutissent les experts désignés par le tribunal, ces praticiens, en dehors des trois médecins

conseils des requérants, n’ont pas examiné M. P...K..., ni eu accès aux éléments sur lesquels se

sont fondés les experts judiciaires. Dans ces conditions, à défaut d’être précédée d’une

contestation scientifiquement étayée des constatations du rapport d’expertise relatives

au caractère irrémédiable et à l’ampleur des atteintes cérébrales dont est victime M. P... K...,

quand bien même auraient-elles été effectuées à l’issue d’une méthodologie que les requérants

contestent, les critiques exposées par ces derniers, ne sauraient utilement remettre en cause la

méthodologie retenue par les experts.

Quant à l’existence d’une évolution de l’état de santé de M. P...K... :

23. L’expertise réalisée en 2014 à la demande du Conseil d’Etat concluait, compte tenu

de leur nature et de la distance à l’accident dont avait été victime l’intéressé, au caractère

irréversible des lésions présentées par M. P...K.généraux, et n’apportent aucun élément probant,

propre au cas spécifique de M. P...K, alors que les experts relèvent, dans la réponse aux dires

produits par les requérants et leurs médecins conseils lors de la discussion contradictoire du prérapport

d’expertise, qu’à la vue des examens précités a été constaté l’existence de lésions d’une

telle gravité, dont au demeurant les requérants admettent l’importance, qu’ils permettaient à eux

seuls, sans autres examens et sans qu’il soit besoin de recourir à un nouvelle IRM fonctionnelle,

de répondre aux termes de leur mission Il résulte de l’instruction et notamment de l’expertise

ordonnée quatre ans plus tard, à l’occasion de la présente procédure, que M. P...K...est dans un

« état d’incapacité fonctionnelle psychomotrice totale comparable cliniquement à celui enregistré

en 2014 », encore les experts ont-ils constaté des éléments attestant de « minimes aggravations ».

Ils retiennent que M. P...K...n’est capable d’aucun mouvement volontaire et que notamment les

mouvements oculaires sont d’origine « reflexe ». Au demeurant, eu égard aux atteintes

cérébrales constatées, la circonstance que M. P...K...soit atteint de cécité n’est pas à exclure. Les

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experts considèrent également que les émissions vocales correspondent à des séquences

automatiques sous corticales. De même la déglutition est essentiellement « réflexe », parfois et

de manière intermittente « automatique » à partir d’une stimulation orale. La présence d’un

aidant familial ne modifiant pas cette donnée. Ils indiquent qu’en aucun cas la capacité de

déglutition de l’intéressé n’est compatible avec une alimentation et une hydratation

fonctionnelles. Enfin les experts relèvent, « qu’aucune amélioration neurologique n’est

scientifiquement envisageable à ce jour ». Les requérants qui soutiennent toutefois que la

capacité de déglutition de M. P... K... peut être améliorée, n’apportent aucun élément probant qui

serait de nature à remettre en cause ces appréciations. De même, eu égard au constat fait par les

experts de l’impotence fonctionnelle totale et irréversible de M. P...K..., qui comme il a été dit au

point 22 n’est pas utilement remis en cause par les requérants, il ne résulte pas de l’instruction

que l’admission de l’intéressé, à supposer obtenu l’accord de sa tutrice, dans un service

spécialisé dans les soins aux personnes en état végétatif chronique ou en état de conscience

minimale, pourrait aboutir à une amélioration de son état. Au demeurant, la période de dix ans

pendant laquelle M. P...K...a fait l’objet de soins dont les experts relèvent la qualité et d’un suivi

médical était suffisante pour constater l’existence d’une évolution, à la supposer même possible.

Or une telle évolution n’a pas été observée. Si, comme il a été dit au point précédent, des

médecins chargés du suivi de patients cérébro-lésés, se sont prononcés publiquement contre

l’arrêt des soins, c’est, selon les écritures mêmes des requérants, après le seul visionnage de

séquences vidéo par eux réalisées, montrant M. P...K...alité dans sa chambre d’hôpital.

L’appréciation ainsi portée par des praticiens se fondant sur ce seul élément, en dehors de toute

démarche scientifique, n’est pas, dans ces conditions, de nature à remettre en cause celle portée

par les experts. Enfin, si les diagnostics visant à déterminer si un patient se trouve dans un état

végétatif ou un état de conscience minimale seraient dans une large mesure erronés, la

qualification ainsi retenue de l’état d’un patient ne commande pas l’application des dispositions

précitées du code de la santé publique. Par suite, la question tenant aux difficultés de poser un

diagnostic fiable afin de déterminer si un patient ressortit à l’un ou l’autre de ces états est sans

incidence. Il suit de là, et dans les circonstances particulières propres à M. P...K..., que le DrO...,

par la décision en litige, a pu sans méconnaitre les dispositions précitées du code de la santé

publique, retenir que le maintien des soins et traitements qui sont prescrits à M. P...K..., dont

l’alimentation et l’hydratation font partie, n’a pour effet que le seul maintien artificiel de la vie

du patient.

24. Il résulte de tout ce qui précède, d’une part, que le maintien des soins et traitements

constitue une obstination déraisonnable au sens des textes précitées et d’autre part, que la volonté

de M. P...K...de ne pas être maintenu en vie dans l’hypothèse où il se trouverait dans l’état qui

est le sien depuis maintenant dix ans, est établie. Il suit de là que les conclusions de la requête

tendant à la suspension de la décision du 9 avril 2018 doivent, et sans qu’il soit besoin

d’ordonner une nouvelle expertise, être rejetées.

Sur les conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint au CHU de Reims de communiquer l’ensemble

des avis, observations, et comptes-rendus reçus ou utilisés dans le cadre de la quatrième

procédure collégiale :

25. En tout état de cause, et dès lors que la mesure d’expertise ordonnée prive

cette demande d’utilité, il n’y a pas lieu d’enjoindre au CHU de Reims de communiquer

les éléments précités.

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Sur les dépens :

26. Dans les circonstances particulières de l’espèce, il y a lieu de mettre les frais

de l’expertise ordonnée par le tribunal administratif, et liquidés, par trois ordonnances

du 18 décembre 2019 du président de ce tribunal, à la somme globale de 8 106,35 euros, à

la charge du centre hospitalier universitaire de Reims.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice

administrative :

27. Les dispositions de l’article L. 761.1 du code de justice administrative font obstacle

à ce que soit mis à la charge du CHU de Reims, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie

perdante, le versement de la somme que M. PierreK...et autres demandent au titre des frais

exposés par eux et non compris dans les dépens.

O R D O N N E

Article 1er : La requête de M. PierreK..., Mme Q...K..., M. B...V...et Mme A...K...épouse I...est

rejetée.

Article 2 : Les frais d’expertise, liquidés et taxés à la somme globale de 8 106, 35 euros, sont mis

à la charge du centre hospitalier universitaire de Reims.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. PierreK..., au centre hospitalier

universitaire de Reims, à Mme H...F...épouseK..., à M. S...K..., à l’UDAF de la Marne.

Copie en sera adressée à l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et

de cérébro-lésés.

Fait à Châlons-en-Champagne, le 31 janvier 2019.

Le juge des référés,

Président de la formation de jugement.

Signé

OlivierC...

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